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autorité et son exemple. Cependant je m’empresse de le dire, et j’entends par la le grandir en quelque sorte, Arnold, tout recommandables que sont ses écrits, tout distingué qu’il est par son esprit et son savoir, n’est pas un génie supérieur. Il n’est pas même un grand écrivain, et pourtant il a été digne de sa renommée et de son in fluence. C’est l’homme, l’homme tout entier qui a mérité l’admiration, et qui exerce encore une véritable puissance par les souvenirs qu’il a laissés.

Nous sommes ici en présence d’un vrai chrétien. Ici la religion est plus qu’une idée ou une émotion, elle est la règle de la vie, elle en est l’âme. Arnold en était venu de bonne heure à ne pas concevoir, dans ce siècle surtout, la vertu sans Dieu, ni Dieu sans Jésus-Christ. Sa foi n’était pas le recours mystique de l’imagination qui se prend pour la conscience. Encore moins était-elle la servitude doctrinale d’un esprit subtil et faible qui s’enchaîne à des formes et à des mots. C’était la sanctification d’une philosophie pratique. C’était le principe, l’appui, la loi des sentimens et des actions, et bien loin de la renfermer au fond du cœur, il voulait que, se montrant à tous les regards, elle s’unît aux intérêts et aux mouvemens de la société, pénétrât même dans la politique du siècle, non pas en ennemie, tout au contraire, mais pour donner aux principes de celle-ci plus d’élévation et à ses œuvres plus de solidité. Il lui semblait que si le Christ était descendu sur la terre pour montrer aux hommes le royaume du ciel, c’était aux hommes de lui rendre dès à présent le royaume de ce monde.

Toute sa conduite porta témoignage de cette pensée. Rien de plus simple que sa vie, rien de moins dramatique ; rien de plus intéressant. Aussi un des meilleurs livres qu’on puisse lire, et le meilleur qu’on lui doive, est celui qu’il n’a pas fait[1]. M. Stanley, son élève et son ami, a publié sa biographie, et cet ouvrage vraiment admirable, qui a déjà eu sept ou huit éditions, est certainement la lecture la plus attachante, je dirais, si j’osais, la plus édifiante que puisse faire un homme qui pense comme nous pensions tous il y a vingt-cinq ans. C’est un récit entrecoupé de longs et nombreux fragmens de la correspondance d’Arnold, et qui donne l’histoire la plus vraie de ses sentimens et de ses idées. C’est là un de ces ouvrages qui mériteraient qu’on inventât pour eux cette vieille pensée, « qu’on ne les peut lire sans devenir meilleur. »

Thomas Arnold était ne dans l’île de Wight en 1795. Son père, employé dans les douanes, avait une nombreuse famille, ce qui ne l’empêcha point de donner une éducation soignée à son plus jeune

  1. The Life and Correspondent of Th. Arnold, by Arthur Penrhyn Stanley, 7e édition, Londres 1852.