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plus naturelle, la plus respectable ; il faut s’y tenir en général, et ne pas tomber dans la bibliolatrie. Aussi n’attache-t-il qu’une importance fort secondaire aux difficultés du texte : elles seraient toutes insolubles, les variations et les contradictions n’en pourraient être conciliées, que sa foi ne recevrait aucune atteinte. Il suffit de tenir que le récit évangélique est une histoire aussi vraie qu’aucune histoire au monde ; mais on n’est pas obligé de tout comprendre et de tout croire à la manière des évangélistes.

Cette esquisse de la doctrine de Coleridge est bien insuffisante. Il faudrait pénétrer dans le développement de ses pensées pour bien faire comprendre comment il a créé une école et déterminé un mouvement religieux. Il a trouvé en général la théologie dominée par les idées de Grotius et de Paley. C’est encore en général la théologie des laïques et de tous ceux qu’il appelle epicureos evangelisantes, et il a sans aucun doute fait perdre à cette doctrine beaucoup de terrain. En réintroduisant le mystérieux et le surnaturel, ou, selon lui, la vraie spiritualité dans la religion, il a produit une doctrine intermédiaire entre la haute et la basse église, ne matérialisant pas les symboles chrétiens comme la première au point d’arriver au puseyisme, et ne se perdant pas dans les exagérations sur le libre arbitre et la prédestination comme une partie de la seconde ou comme les dissidens attachés au calvinisme pur. L’idée platonicienne de la ressemblance avec Dieu, l’idée kantienne du devoir de se rendre agréable à Dieu devient pour lui l’idée de l’identification de l’homme avec Dieu, ou plutôt avec le Christ, seul médiateur qui rende cette identification possible. On voit donc que cette doctrine touche au mysticisme. Elle a pénétré dans l’église, avec laquelle elle tient en général à rester unie, et forme comme la tête philosophique de cette broad church qui tend à absorber la haute et la basse église. Cependant l’unité dogmatique ne saurait être le résultat du mouvement que Coleridge a produit. Quant à la justification et à la Trinité, il n’est pas hétérodoxe, mais il n’est pas strict, et sa doctrine sur l’Écriture mène bien près du libre examen. La vérité est dans l’Écriture et dans l’église, mais elle y est parce que leurs dogmes répondent aux besoins et aux lumières de la raison spéculative. Celle-ci, étant la régulatrice de la foi, peut sans cesse l’approfondir et l’épurer par l’étude des livres saints et de la tradition, et elle ne s’égare pas tant qu’elle y sait trouver les conditions intimes de l’identification de l’homme avec Dieu par la pensée comme par le sentiment. On conçoit comment, suivant la pente des temps et des esprits, on peut dans les généralités de cette doctrine puiser les motifs d’un retour de plus en plus complet à l’antiquité de croyance et de culte, ou d’un progrès vers une nouvelle philosophie chrétienne qui pourrait aller jusqu’au gnosticisme. Chacun peut trouver la ce qu’il cherche, orthodoxie ou liberté.