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se fatigue à suivre, si l’on n’a pour guide un esprit qui comprenne à quoi tend ce flux et reflux perpétuel des partis, cette constante et fatigante instabilité. Là où la plupart des historiens ne nous montrent que le triomphe alternatif de deux factions, les gibelins et les guelfes, Pitti, et je lui en sais gré, n’oublie point que ces deux factions ne sont pas le peuple tout entier. Le peuple (il popolo) intervient dans le récit de Pitti ; ce sont les popolani qui en 1250 prennent en main le gouvernement dont les gibelins s’étaient emparés ; c’est le peuple qui rappelle les guelfes et qui s’efforce de les réconcilier avec les gibelins. Le peuple florentin apparaît donc d’abord comme modérateur sur cette scène où l’on ne voit d’ordinaire que les deux factions qui se disputent le pouvoir de le gouverner. L’auteur montre le résultat heureux de cette union des citoyens, qui en quelques années soumit à Florence presque toute la Toscane, et y aurait assuré son empire, « si la superbe gibeline, ennemie de l’égalité, n’avait fait échouer l’entreprise, et enfin, ne pouvant se contenir, n’avait, en 1268, conjuré contre le peuple, et, l’attaquant par les armes, usurpé sur lui l’état. » Tel est le point de départ vrai, ce me semble, de l’histoire de Florence : deux factions et le peuple, qui est plus favorable à l’une d’elles, les guelfes, parce qu’elle le ménage davantage, mais qui n’est d’aucune faction.

Pitti n’épargne pas plus ceux-ci que leurs adversaires. « Et les guelfes ne furent pas longtemps tranquilles, parce que parmi eux il y en avait peu de justes ; mais, comme ayant été d’abord surmontés par les gibelins, pour se gagner la faveur et l’appui des popolani, ils avaient prêché les lois et la justice, se trouvant bientôt après à la tête de la cité, ils usurpèrent les postes que la fuite de leurs ennemis avait laissés vides, s’en emparant avec force arrogance et oppression du peuple en qualité de libérateurs. Le peuple, s’attribuant à lui-même l’expulsion des gibelins, supportait avec irritation ces injustices, et il était favorisé par tous ceux qui désiraient la commune liberté. » Pitti suit avec la même clairvoyance la marche des diverses révolutions qui se succédèrent à Florence : la création du gonfalonier de justice pour la protection du peuple par Jean della Bella, patricien qui se fit le champion des droits populaires comme les Gracques ; l’exclusion des grands de toutes les charges, ostracisme inique en lui-même, dicté par les justes rancunes de la fierté plébéienne, et que l’on tempérait en faisant du peuple certaines familles aristocratiques (le privilège avait changé de place) ; la tyrannie du duc d’Athènes, qui s’empara du pouvoir en promettant aux grands de leur rendre les droits politiques et aux hommes du peuple de les protéger contre leurs créanciers, et qui, comme il arrive à ceux qui trompent tout le monde, eut bientôt tout le monde contre lui. Le