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attique que germanique, et son maître, il faut le répéter, c’est Kant : non qu’il ait embrassé l’ensemble de la philosophie critique : la déduction systématique n’allait pas à son esprit. Seulement il avait çà et là pris quelques idées dont il faisait des principes, et de ces principes une philosophie fragmentaire qu’il appliquait à la théologie chrétienne. Il est donc nécessaire, pour le bien entendre, de se rappeler les leçons de Kant, car il parle souvent la même langue ; mais il ne faut pas espérer de lui cette analyse sévère, inexorable, que rien ne désarme et n’intimide, et qui ne s’arrête qu’où finit l’esprit humain. Encore moins doit-on s’attendre à ce qu’en cherchant la philosophie de la religion, il conçoive celle-ci dans les limites de la raison, comme l’a fait Kant dans le plus hardi, le plus consciencieux et le plus singulier de ses ouvrages. La liberté absolue était le caractère du génie de Kant ; c’est par la qu’il rappelait la Grèce. N’en demandez pas tant à Coleridge. Je le crois sincère, mais il n’a pas cette entière véracité avec soi-même qui est l’héroïsme du philosophe. Son esprit a plus de force que de fermeté ; il marche hardiment à ce qui l’attire, mais il fuit devant ce qui l’effraie pu l’embarrasse. Il profite largement, en bon élève de Kant, du droit d’ignorer ce qu’il ne peut savoir, pour écarter ce qu’il ne sait pas, pour circonscrire ses recherches et récuser la logique au nom de la raison ; mais il s’arme également de la prétention à la profondeur et de l’in différence à l’obscurité, qui se gagnent si vite dans le commerce des écrivains allemands, pour accabler de ses dédains l’esprit français, et le poursuivre partout. Il dit que les opinions de nos philosophes ont été les dents du dragon de Cadmus ; il les redoute, mais il s’en moque. Il nous trouve trop spéculatifs dans le monde politique et trop peu dans le monde intelligible. Il prétend quelque part que Français et idée sont deux termes incompatibles, et probablement en parlant ainsi, il croit nous juger ainsi qu’aurait fait Platon, ajoutant comme explication, dans le langage de Kant, qu’il nous manque la prédilection pour les noumènes. On sera curieux peut-être de voir le lot qu’il nous assigne dans une classification des trois nations sous le rapport intellectuel. Voici le tableau qu’il a dressé :


ANGLETERRE ALLEMAGNE FRANCE
Génie Génie Habileté
Sens Talent Talent
Humour (originalité) Imagination Esprit
Découverte des lois Idées ou anticipation des lois Invention des théories
Choix Totalité Particularité

Et de ces différentes dispositions ou facultés intellectuelles, il dérive le cosmopolitisme pour l’Allemagne, la nationalité dédaigneuse pour l’Angleterre, en accordant à la France la nationalité d’ostentation.