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du philosophe devait être lente. Malgré la vive admiration qu’il inspirait à lord Byron, j’ignore si sa gloire poétique est restée à la hauteur qu’elle semblait avoir atteinte ; mais sa renommée philosophique a grandi assurément depuis sa mort.

Coleridge est mort en 1834. Avant de résumer ses doctrines, il veste à remplir un devoir sévère. Lorsqu’on lit ses écrits, on croit remarquer un certain défaut de calme et de sérénité, ces attributs indispensables du philosophe religieux. Une expérience douloureuse de l’infirmité morale de la nature humaine se trahit dans le rigorisme laborieux qu’il s’impose, et en même temps ses ouvrages manquent de cette heureuse ordonnance, de cette clarté générale, de cette science de composition, qui sont comme les marques d’une parfaite sagesse. Ses traités sont des amas de fragmens mal joints où se rencontrent de belles choses et des passages qui font penser. On ne serait pas surpris que l’auteur de tout cela ne fût un esprit malade, et il en était ainsi. Plus de trente ans avant sa mort, Coleridge était allé demander au climat de Malte pour ses nerfs excités et affaiblis une guérison qu’il n’obtint pas. C’est que dès-lors un goût étrange et funeste, qui parut un moment près de devenir le mal des gens de lettres, le goût de l’opium, avait commencé à troubler la vie et les facultés de celui qui se croyait un disciple de Platon. Ce goût devint une manie, et comme une fureur qu’on ne peut se borner à plaindre, car ce serait trop d’indulgence. Mais que pourrions-nous dire qui égalât le terrible jugement prononcé par Coleridge sur lui-même ? On ne lira pas sans émotion la lettre suivante, qu’il écrivait en 1814 à un ami, M. Wade.

« Cher monsieur, — car je suis indigne d’appeler un honnête homme du nom d’ami, — moins encore vous de l’hospitalité et de l’affection duquel j’ai abusé. — Acceptez cependant mes supplications pour obtenir votre pardon et vos prières.

« Concevez un pauvre misérable être qui depuis beaucoup d’années s’est efforcé d’écarter la souffrance par un recours constant au vice qui la reproduit. Concevez un esprit en enfer occupé à tracer aux autres la route de ce ciel d’où l’excluent ses crimes. En un mot, concevez ce qu’il y a de plus pitoyable, de plus abandonné, de plus désespéré, et vous vous formerez une idée aussi passablement juste de mon état qu’il est possible à un honnête homme de l’avoir.

« J’étais habitué à trouver très dur ce texte de saint Jacques : « Celui qui offense en un point offense dans tous. » Maintenant j’en ressens la redoutable, l’effrayante vérité. Parle seul crime de l’opium, de quel crime ne me suis-je pas rendu coupable ! Ingratitude envers mon Créateur ! et pour mes bienfaiteurs injustice ! et cruauté dénaturée pour mes pauvres enfans ! Mépris de moi-même enfin, pourtant