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et ravit son auditoire, s’il faut en croire un témoin d’un goût difficile, William Hazlitt, qui l’entendit, et dont le père était à Wem ministre de la même croyance. Coleridge ne s’attacha pas cependant aux fonctions pastorales. Il s’était alors étroitement lié avec Wordsworth, et, s’excitant l’un l’autre, tous deux ne rêvaient que poésie ; chacun avait fait sa tragédie. Celle de Coleridge, le Remords, ne devait être donnée au public que quinze ans plus tard. Les Wedgewood, qui se sont fait un nom célèbre dans les arts céramiques, s’intéressaient vivement à lui, et voulaient qu’il s’adonnât exclusivement aux lettres. Grâce à leur généreux secours, il rentra en possession de sa liberté, quitta Shrewsbury, et publia bientôt en commun, avec Wordsworth, les Ballades lyriques, recueil inspiré par le génie de la poésie allemande, et qui fut comme l’éclatant début de l’école des lacs (1798). L’automne suivant, les deux poètes partirent en semble pour l’Allemagne. Ce voyage exerça une influence décisive sur les opinions et sur le talent de Coleridge.

Lorsqu’à son retour en effet il épousa peu à peu les idées politiques et religieuses qui dominaient alors, quand il devint l’implacable ennemi des doctrines françaises, le censeur dédaigneux des maximes du siècle, l’adversaire rétrospectif de Locke, de Clarke et de Paley, l’objet des plus mordantes critiques de la Revue d’Edimbourg, on ne manqua pas d’opposer sa jeunesse à son âge mûr, et de lui rappeler avec dérision qu’il n’avait pas toujours été si ferme dans la foi de l’église et de l’état. Il aurait pu répondre que ses critiques n’avaient pas aperçu en lui dès l’origine un platonisme vague qui pouvait le conduire sans secousse à un christianisme raisonné, et qui surtout, transformé par les enseignemens des chaires germa niques, devait le séparer définitivement des systèmes de morale fondée sur la prudence et de politique fondée sur l’utilité, longtemps en crédit dans sa patrie. Sans nier d’ailleurs qu’il eût débuté par des erreurs, il s’est toujours défendu d’avoir été unitairien à la manière de Priestley, et sans désavouer l’enthousiasme réformateur qui réchauffait à vingt ans, il a prétendu n’avoir, à aucune époque, demandé ou flatté le gouvernement de la démocratie. Lorsqu’on lit l’adresse qu’il publiait en 1795 à Bristol comme programme de la société pantisocratique, on reconnaît un esprit plutôt chimérique que révolutionnaire. Aucun excès populaire n’y trouve une apologie, ce n’est point un appel au désordre : c’est un plan d’éducation universelle, comme base d’une société régénérée. Seulement il ajoute ces mots singuliers : — Pour réaliser ce programme, il faut une foi pratique dans la doctrine de la nécessité philosophique. — Et, comme témoignage de ce qu’était alors sa philosophie on ne doit pas oublier qu’étant devenu père en 1796, il donnait à son