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non-seulement de signaler les abus et les fautes de toutes les églises, mais encore d’établir, sinon que Dieu n’existe pas, au moins qu’il est impossible et inutile de savoir s’il existe. Il publie un journal hebdomadaire, the Reasoner, pour la propagation de ses idées, accompagnées, comme il convient, d’une bonne dose de socialisme, et il a composé un assez grand nombre d’ouvrages qui, si l’on en juge par quelques citations, ne sont pas du moins excentriques par la forme. Le 24 mai et le 1er juin 1852, une discussion publique eut lieu à Londres, à l’Institution scientifique, entre le révérend Henri Townley et M. Holyoake sur cette question : « Y a-t-il preuve suffisante de l’existence d’un Dieu, c’est-à-dire d’un être distinct de la nature ? » Les discours prononcés sont imprimés, et si cette controverse ne contient rien de bien neuf, elle est remarquablement exempte d’aigreur et de violence. Comme l’athéisme, quoi qu’on fasse, est une fort mauvaise enseigne, la doctrine de M. Holyoake a pris le nom moins scandaleux de sécularisme. Notre origine et notre fin sont des choses impénétrables, c’est un passé et un avenir qui ne nous importent pas : nous vivons dans le siècle, et nous devons y vivre le mieux possible ; voilà le sécularisme. Sous ce nom, quelques sociétés se sont formées. Il y a des conférences, il y a des cours publics où s’enseigne la doctrine. En 1854, la Société éclectique de Glasgow adressa une sorte de défi au docteur Anderson, qui s’était escrimé publiquement contre un théologien catholique, et elle l’en gagea à se mesurer avec M. Holyoake. M. Anderson refusa, mais de signa à sa place le révérend Brewin Grant, et pendant six séances tenues dans la salle de la Cité, sous la présidence du bailli Mac-Gregor, et en présence de trois mille personnes, une controverse fut instituée et soutenue sur cette question : « Le sécularisme est-il en désaccord avec la raison et le sens moral, et condamné par l’expérience ? » Le débat fut très vif, et le tenant de l’irréligion presque toujours réduit au l’on de l’apologie. Ce colloque n’a pas été le seul de ce genre, et il faut ajouter que le tout n’a pas fait grand bruit. C’est néanmoins une singularité qui méritait d’être notée, et, sans conseiller à personne de l’imiter, je conseillerais fort à tout le monde de ressembler au peuple à qui de telles choses ne font aucun mal, véritable Mithridate que le poison n’atteint pas. Or, si l’extrême tolérance d’un sain et vigoureux organisme peut aller jusque-là, combien à plus forte raison, dans la lice où se mesurent des opinions modérées, où des théories protégées par quelques-uns des grands noms de l’esprit humain se disputent le prix de la vérité, la libre discussion doit-elle être autorisée par le droit et par l’usage, et doit-il être permis d’agiter avec indépendance les graves et éternelles questions que la religion transforme et ne supprime pas !