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ce juste milieu d’examen et de tradition qui cherche à combiner le plus de religion avec le moins d’église possible ; mais depuis les temps modernes, et surtout en Angleterre, tout cela coexiste, tout cela se déploie librement, et la vie religieuse s’y montre dans toute son activité et toute sa richesse.

Tel est le point de vue auquel s’est placé M. Tayler, qui, dans un ouvrage très intéressant, a retracé l’histoire religieuse de l’Angleterre depuis Wycliffe[1]. Le mouvement que Wycliffe détermina, et qui se propagea jusque dans l’université d’Oxford, peut en effet être considéré comme l’origine de la réformation anglaise. Lorsqu’elle s’accomplit définitivement, le grand rôle que la royauté joua dans l’événement conserva à l’église les caractères de l’organisation romaine plus qu’en aucune autre contrée protestante. La couronne ne modifia la hiérarchie qu’autant qu’il le fallait pour en occuper le faîte. Auguste se fit souverain pontife. On y gagna d’entraîner plus facilement dans la réforme les esprits amoureux de pouvoirs officiels savamment constitués, tous ceux que le droit d’adorer Dieu librement eût effrayés comme un désordre, et qui, sans cela, se seraient cramponnés à l’antique constitution de l’église anglo-saxonne. Cependant l’esprit des lollars s’était perpétué ; il cherchait précisément ce que fuyait l’ancien catholicisme, et il produisit toutes les nuances puritaines, depuis le presbytérien modéré, prêt à reconnaître la suprématie de l’autorité civile sans épiscopat, jusqu’à ces millénaires indomptables, qui regardaient toute autorité comme un joug ou plutôt comme une idolâtrie. À toutes ces sectes, le calvinisme, c’est-à-dire la doctrine de la justification poussée jusqu’à la prédestination absolue, était originairement commun ; mais il se conservait plus pur et plus vif chez celles qui s’éloignaient le plus du culte anglican. Jacques Ier, presbytérien et conséquemment calviniste lorsqu’il était roi d’Ecosse, devint épiscopal en devenant roi d’Angleterre, et l’arminianisme de ses prélats le gagna peu à peu, quoiqu’il persistât à condamner et même à poursuivre jusqu’en Hollande les arminiens. Il se forgea ainsi une religion particulière à l’usage des rois, un certain composé de droit divin, d’absolutisme, de cérémonial romain, une croyance incohérente, athanasienne, arminienne, érastienne, sorte de puseyisme anticipé qui fut la foi des Stuarts jusqu’au moment où elle les ramena à la religion de Louis XIV — et dans son royaume. Laud fut le pontife sincère, mais complaisant, mais tyrannique, de cette religion de cour, et l’on s’explique ainsi pourquoi tout ce qui tendait à l’opposition politique pencha dès-lors vers la rigueur calviniste, pourquoi l’esprit presbytérien devint l’esprit parlementaire.

  1. A Retrospect of the religions Life of England, Sédition, Londres 1853.