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de la côte de Nice et à l’île de Capraia près de Livourne ; puis il manque de nouveau dans tout le nord de la péninsule italique : il ne reparaît qu’aux environs de Terracine, sur les limites du royaume de Naples et des états du pape, devient commun dans l’île de Caprée et surtout en Sicile. Dans la partie orientale de la péninsule italique, il se trouve à Tarente, puis en face sur la côte de Dalmatie, où il descend jusqu’au golfe de Corinthe ; mais il n’existe ni en Grèce ni dans les îles de Zante et de Corfou. Trop commun en Algérie, où il est le plus grand obstacle aux défrichemens, on ne le rencontre pas en Égypte, mais seulement en Nubie. Aucune considération géo logique ou météorologique n’explique une distribution aussi singulière. Pourquoi le palmier nain manque-t-il dans la Corse et dans la partie septentrionale de la Sardaigne, tandis qu’il se trouve au nord près de Nice, à l’est dans la petite île de Capraia, à l’ouest sur toute la côte d’Espagne ? D’anciennes connexions de terres séparées maintenant par la mer peuvent seules rendre compte de cette dispersion capricieuse.

Le bel arbrisseau connu sous le nom de rhododendron pontique nous fournit un second exemple. Sa patrie originelle, c’est le littoral de la Mer-Noire au pied du Caucase et les environs du mont Olympe, de Smyrne à Nicomédie. Inconnu dans tout l’archipel grec, la Morée, la Turquie d’Europe, l’Italie, la Sicile, les Baléares, l’Algérie, il forme une colonie lointaine dans les montagnes du sud de l’Espagne appelées la sierra de Monchique et dans les Algarves de Portugal. Je pourrais avec M. de Candolle multiplier ces exemples : les deux que je viens de citer me paraissent suffisans, sinon pour convaincre, du moins pour faire réfléchir les botanistes et les géologues.

Un autre fait n’est pas moins caractéristique. Certaines plantes vivant dans les étangs et les marais, telles que le nénuphar, le villarsia nymphoides, la châtaigne d’eau (trapa natans), la sagittaire, sont extrêmement répandues en Europe, mais manquent généralement dans le pourtour des alpes de la Suisse et de la Savoie ; elles y vivraient comme ailleurs, on s’en est assuré positivement : jetées dans des marais, elles s’y sont multipliées au point de devenir incommodes. Il a donc fallu qu’à l’époque où elles se sont répandues en Europe, un obstacle quelconque les empêchât de s’établir dans le bassin suisse. Cet obstacle, c’étaient les glaciers qui remplissaient alors toute la vallée comprise entre les Alpes et le Jura. On sait en effet que cette ancienne extension des glaciers, dont les blocs erratiques sont les témoins irrécusables, est le dernier grand fait géo logique antérieur à l’apparition de l’homme[1]. Il a coïncidé avec

  1. Voyez sur ce sujet mes Recherches sur la Période glaciaire dans la Revue des Deux Mondes du 1er mars 1847.