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indigènes de celles qui ont été introduites, les espèces propres au pays de celles qui lui sont communes avec d’autres contrées éloignées ou limitrophes. Les zones de végétation qui s’étagent sur le flanc des montagnes de l’Ecosse ou de la Scandinavie, des Alpes, des Pyrénées, des Apennins, de l’Etna, de la Sierra-Nevada d’Espagne, étaient déterminées avec soin à l’aide du baromètre. On poursuivait jusqu’au dessus de la limite des neiges éternelles les dernières traces de la végétation expirante. D’un autre côté, Franklin, Ross et Parry rapportaient des terres polaires les humbles fleurs qu’un été de deux mois, aussi froid que l’hiver de Paris, fait éclore sur les derniers îlots du Spitzberg et du fond de la baie de Baffin. Les botanistes voyaient avec admiration certaines espèces, craignant également la chaleur, végéter au bord de la Mer-Glaciale et à la limite des neiges éternelles dans les Alpes, les Pyrénées, le Caucase et la Sierra-Nevada.

L’influence du sol sur la végétation, cette question vitale de l’agriculture, était abordée par les botanistes, les chimistes et les géologues : ils cherchaient à apprécier la part de la constitution physique des terres, de leur mode d’agrégation, de leur compacité, de leur perméabilité. D’autres portaient leur attention sur la composition chimique du sol, qu’ils considéraient comme prépondérante. Enfin les philologues et les érudits retrouvaient dans les livres les plus anciens des Hindous, des Chinois et des Juifs les noms et quelquefois la description des plantes connues à cette époque : ils en déduisaient la présence ou l’absence de ces espèces dans certaines contrées depuis les âges les plus reculés dont l’histoire fasse mention.

Toutes ces recherches accumulées ont constitué la géographie botanique telle qu’elle est actuellement, avec l’ensemble de notions et de principes que résume M. Alphonse de Candolle dans un ouvrage publié récemment. En analysant avec lui les derniers travaux des botanistes, nous pourrons marquer la limite qui sépare la science moderne des tentatives pleines de génie, mais aussi pleines de lacunes, des créateurs de la géographie botanique. À la fin de ce siècle, lors que la végétation du monde sera encore mieux connue, lorsque la géographie, la météorologie, la physique du globe, la géologie, seront encore plus avancées, l’année où j’écris pourra servir à son tour de limite à l’époque où commencera la science du XXe siècle. Les premiers efforts des fondateurs de la géographie botanique, leurs travaux, leurs voyages ignorés du public scientifique, ne seront connus que de quelques érudits. De même les fondemens d’un antique édifice cachés dans les profondeurs de la terre ne sont fouillés que de loin en loin par quelque architecte amoureux de son art, tandis que chacun admire la partie visible dont ils sont la base, et qui sans eux aurait cédé aux premiers efforts de la main des hommes et du temps.