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SIR ROBERT PEEL.

perte que le pays vient de faire. Peut-être me sera-t-il permis de dire ici que sa majesté, désirant montrer combien elle est touchée des services rendus par sir Robert Peel à la couronne, m’avait chargé d’informer lady Peel que c’était son intention de lui conférer le même rang qui avait été donné à la veuve de M. Canning[1]. J’ai reçu aujourd’hui même de lady Peel une réponse à cette offre de la couronne, que j’ai aussitôt communiquée à sa majesté. Lady Peel dit que c’est son désir de ne porter aucun autre nom que celui sous lequel sir Robert Peel a été connu. Elle ajoute que sir Robert a laissé des instructions positives où il exprime le vœu que personne de sa famille ne reçoive aucun titre, aucune récompense publique à raison des services qu’on peut lui supposer le mérite d’avoir rendus à son pays. C’est sans doute pour cette chambre, reprit lord John Russell, une raison de plus de désirer qu’au moins quelque témoignage public demeure du sentiment que lui a inspiré un coup si soudain et si déplorable. »

Dans le testament de sir Robert Peel se trouvait en effet, sous la date du 8 mai 1844, au moment de son plus grand pouvoir, un mémorandum conçu en ces termes : « J’espère et je désire sérieusement qu’aucun membre de ma famille ne recherche ou n’accepte, si on le lui offre, aucun titre, distinction ou récompense à raison des services que je puis avoir rendus dans le parlement ou dans le gouvernement. Si mes fils acquièrent par leurs propres efforts des titres à des distinctions honorifiques, ils recevront probablement, s’ils les désirent, les récompenses dues à leurs mérites propres et personnels ; mais c’est mon vœu formel qu’aucun titre, aucune marque d’honneur ne soient recherchés ou acceptés pour cause de grandes charges occupées ou d’actes accomplis par moi. »

Jamais, à coup sûr, le principe démocratique, « à chacun selon ses mérites et ses œuvres, » ne s’est manifesté dans une sphère plus haute, ni par un désintéressement plus sévère et plus complet. Nulle part aussi peut-être le fond du cœur et du caractère de sir Robert Peel ne s’est plus sincèrement révélé. C’était un grand et honnête serviteur de l’état, fier avec une sorte d’humilité, et ne voulant briller d’aucun éclat étranger à sa sphère naturelle, dévoué à son pays sans aucun besoin de retour, peu préoccupé de principes fixes ou de longues combinaisons politiques, appliqué à reconnaître chaque jour ce que commandait l’intérêt public, et prêt à l’accomplir sans se soucier ni des partis et de leurs règles de conduite, ni de ses pro-

  1. À la mort de M. Canning, en 1827, sa veuve fut personnellement élevée à la pairie, sous le titre de vicomtesse Canning, et avec transmission à son fils Charles-Jean lord Canning, qui en jouit aujourd’hui.