Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le pays, notamment en ce qui concerne l’abolition ou le maintien de l’esclavage. Les abolitionistes étant le parti le plus nombreux dans l’Union, la majorité de la chambre des représentans est opposée à l’esclavage, tandis qu’au sénat une majorité de quelques voix appartient aux partisans de l’esclavage. La durée de cette majorité et le sort même de l’institution de l’esclavage dépendent donc du parti que prendront, dans les deux grandes divisions qui se partagent l’Union, les territoires qui sont prêts à se constituer en nouveaux états. De là les luttes acharnées qui s’engagent au sein des territoires qui sont à la veille de devenir des états nouveaux. De là les furieux combats qu’y livrent les partisans intéressés de l’esclavage, secondés par les démocrates, pour y faire triompher leur cause ; de là les scènes dont le Kansas est aujourd’hui le théâtre. La majorité abolitioniste de la chambre des représentans refuse en ce moment de voler le budget de la guerre sans y joindre un amendement que le sénat repousse obstinément parce qu’il a pour but d’empêcher le président Pierce d’employer au Kansas la force armée dans l’intérêt des partisans de l’esclavage. L’opiniâtreté des deux chambres, et la suspension du budget de la guerre, qui en est la conséquence, sont assurément des faits étranges, qui choquent notre vieille correction européenne et flattent nos jeunes préjugés anti-parlementaires. Si le blâme de cette situation anormale doit retomber sur l’une des chambres américaines, du moins ce n’est point sur celle qui résiste avec tant de fermeté à la violence des partisans de l’esclavage et de leurs auxiliaires démocrates.

Si, quittant les États-Unis, l’on porte ses regards vers le pôle opposé du monde politique, vers la Russie, on est attiré par des scènes qui offrent un contraste d’une autre sorte avec les mœurs politiques des nations libérales de l’Occident. Les splendeurs matérielles du couronnement de Moscou ne sont certainement point le côté le plus saisissant de ce grandiose spectacle : c’est le sentiment moral qui l’anime qui intéresse la curiosité de l’observateur. On voit là le prestige monarchique dans sa primitive vigueur, et comme imprégné encore de cette vertu religieuse qui agit sur les masses avec une puissance plus noble assurément et plus solide que la simple domination de la force. Ce qui frappe encore, c’est un peuple récemment éprouvé par une guerre malheureuse, qui se redresse dans les magnificences d’une fête nationale, et que ses vainqueurs viennent eux-mêmes consoler de ses revers en décorant de leur présence les pompeuses cérémonies qui ouvrent le règne du nouveau souverain. L’histoire apprend par plus d’un exemple combien promptement les nationalités vivaces se relèvent des désastres d’une défaite. Les économistes aussi expliquent ingénieusement comment les peuples bien gouvernés réparent avec rapidité les ruines de la guerre. La Russie, — et les fêtes du couronnement en sont un heureux présage, — saura faire tourner au profit de son développement moral et de ses progrès matériels les enseignemens de la grande lutte d’où nous sortons ; elle y sera vivement aidée par ses ennemis d’hier, si son gouvernement est assez intelligent pour ouvrir entre elle et l’Occident des relations intellectuelles et matérielles plus franches, plus libres et plus complètes que celles qui ont existé jusqu’à ce jour.

La France, entre ces complications qui se préparent, ces légers incidens