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désorganisation pour le gouvernement constitutionnel, il s’est abstenu, comme s’il n’eût pas senti la gravité de l’attaque, ou n’eût su comment la repousser.

Je m’en étonne. Qu’auraient pensé et répondu les adversaires de sir Robert Peel, s’il leur eût dit : « Vous m’accusez de détruire les anciens partis politiques ; ils n’existent plus ; ils se dissolvent tous les jours d’eux-mêmes, non par mon fait. Où sont les principes, les intérêts, les passions qui les avaient formés ? Vous vous dites les tories et les protestans par excellence ; êtes-vous prêts à persécuter les catholiques, à leur faire la guerre, à confisquer leurs biens ? Croyez-vous sérieusement le trône de la maison d’Hanovre et la succession protestante en péril ? Les réformes que je vous propose de faire dans les lois sont faites depuis longtemps dans les esprits, dans la plupart des vôtres comme dans ceux de vos adversaires. Votre plus illustre chef, M. Pitt, votre plus hardi champion, lord Castlereagh, votre plus éloquent orateur, M. Ganning, ont voulu l’émancipation des catholiques. Les vieux partis ont encore leurs traditions, mais non plus leur foi ; ils marchent sous le même drapeau, mais ne combattent plus pour la même cause. Des causes nouvelles se sont élevées ; des idées nouvelles rallient ou séparent les hommes ; des besoins nouveaux veulent être satisfaits. Je suis ce cours des choses ; je consulte les symptômes qui apparaissent ; j’entre dans les routes qui s’ouvrent et où les générations de mon temps me précèdent. Je ne change que parce que tout est changé, les partis comme les idées, comme les sentimens, comme les mœurs. Vous croyez être ce qu’étaient vos pères ; vous vous trompez ; vous ne pouvez persister dans cette erreur qu’à la condition de rester immobiles ; dès que vous voudrez marcher et agir, vous vous sentirez contraints de changer, et déjà changés vous-mêmes. Ne m’imputez pas ce qui est l’œuvre du temps, non la mienne ; ne me reprochez pas des transformations qui sont générales, bien qu’inégalement apparentes ; ne taxez pas de désertion et de trahison ce que vous ferez vous-mêmes quand il vous arrivera d’être appelés à gouverner votre pays transformé. »

Sir Robert Peel eût été en droit de tenir ce langage. Pour n’avoir pas subi de nouvelle révolution, l’Angleterre n’est pas restée immobile : encore les mêmes extérieurement et dans les formes, les grands élémens de la société anglaise, les grands pouvoirs de son gouvernement, la royauté, l’aristocratie, l’église, la démocratie, ont été profondément modifiés dans leur esprit, leurs relations, leur influence. Avant la révolution de 1640, l’aristocratie anglaise avait, dans les grandes crises politiques, tenu compte des droits et des intérêts du peuple ; mais elle n’en était pas moins dans l’état la classe dominante. Depuis la révolution de 1688, en faisant aux intérêts et