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tenant à la lettre du traité de Paris, qui laisse aux vœux librement manifestés des populations roumaines le droit de trancher la question, il évite d’exercer une influence apparente sur la détermination des Moldo-Valaques par une préférence annoncée d’avance. Dans les principautés mêmes, le mouvement vers l’unité semble devoir l’emporter. Il s’est produit en Moldavie avec une exagération quelque peu juvénile que la prudence du kaïmakan, M. Baltch, a dû modérer ; mais l’on assure qu’en Valachie le travail des esprits est à la fois plus calme et plus sérieux. Quoi qu’il en soit, toutes les dissidences devront s’effacer devant l’arrêt que les Moldo-Valaques prononceront sur leur sort, et tout fait espérer que cette nation intéressante saura profiter, dans l’intérêt de son avenir, du pouvoir que le congrès de Paris lui a conféré.

On a fait ces jours derniers un certain bruit des difficultés qui se seraient élevées au sujet de la troisième conséquence du traité de Paris, la rectification des frontières russes du Bas-Danube. Le journal que l’on regarde comme l’organe du cabinet anglais et le journal russe qui se publie à Bruxelles ont entamé sur ce point une polémique dont les exagérations ont fait courir un petit frisson d’alarme chez ceux qui croyaient pressentir la lutte de deux gouvernemens à travers le dialogue trop animé de deux simples journaux. On est même allé jusqu’à voir dans les grands mots du Morning-Post le symptôme d’un désaccord ou d’un refroidissement entre la France et l’Angleterre. Les personnes auxquelles les allures de la politique anglaise et les habitudes de la presse de Londres sont familières n’ont point accordé cette importance aux tirades du Morning-Post ; elles savent que les hommes d’état anglais n’exercent ni surveillance ni contrôle sur les journaux qui les servent ; elles savent que les journaux anglais, dédaignant les nuances académiques et diplomatiques, n’ont d’autre souci que d’accentuer le plus énergiquement possible leur opinion du jour, sans s’inquiéter de leur opinion de la veille et de leur opinion du lendemain. Il faut tenir grand compte des journaux de Londres, et surtout des coups de tonnerre du Times, quand on veut étudier un courant général d’opinion en Angleterre ; mais il y aurait duperie à chercher dans un leading article la portée et le ton d’une controverse diplomatique. Nous croyons donc pouvoir affirmer que l’hymne du Morning-Post, sur l’isolement de l’Angleterre et sur la vigoureuse résolution avec laquelle elle poursuivra seule au besoin l’exécution complète du traité de Paris, n’annonce aucun déchirement de la grande alliance occidentale. La France comme l’Angleterre veillera au strict accomplissement des conditions acceptées par la Russie, et la Russie, s’il s’élève quelque doute sur le sens de ces conditions, acceptera la décision de la conférence, à laquelle Tinter pré tation en est remise. De doutes semblables, il n’en existe qu’un en ce moment, et encore ce doute n’existe-t-il que pour le cabinet de Saint-Pétersbourg, qui l’a soulevé. Nous ne voulons point parler de l’affaire de l’île des Serpens, qui ne fait plus question pour personne. Le seul dissentiment entre la Russie et les puissances occidentales est relatif à Bolgrad, Il résulte d’une incorrection, nous ne voulons pas dire d’une supercherie géographique, qui a surpris la bonne foi du congrès. En rectifiant la frontière russe du côté du Bas-Danube, les puissances occidentales avaient pour