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SIR ROBERT PEEL.

le secret désir d’accomplir lui-même de grandes réformes qu’il croyait justes et nécessaires lui rendit peut-être trop facile la rupture des liens de parti, et l’empêcha d’en voir tous les inconvéniens ; mais quand il va lui-même au-devant de ces reproches, qui les lui adresserait avec rigueur ?

Une anecdote que je tiens de bonne source donnerait lieu de penser qu’il était depuis longtemps et par nature placé sur la pente à laquelle il céda quand, de conservateur obstiné, il devint ardent réformateur. On dit qu’en 1809, lorsqu’il entra dans la chambre des communes, son père, le vieux sir Robert Peel, alla trouver lord Liverpool et lui dit : « Mon fils est, soyez-en sûr, un jeune homme doué de talens rares et qui jouera un rôle important, mais je le connais bien ; au fond, ses penchans sont whigs ; si nous ne l’engageons pas promptement dans nos rangs, il nous échappera ; mettez-le dans les affaires, il vous servira bien, mais il faut sans tarder vous emparer de lui. » Lord Liverpool observa le fils, reconnut son mérite et suivit le conseil du père. Quand le vieux sir Robert Peel mourut, en 1830, il avait déjà vu réaliser ses pressentimens : l’émancipation des catholiques venait de s’accomplir ; mais il avait depuis dix ans quitté la chambre des communes. Il vivait retiré dans son manoir de Drayton, et la gloire de son fils le consolait probablement un peu d’une transformation dont il avait démêlé les germes.

En rendant au caractère moral de sir Robert Peel pleine justice, beaucoup de bons juges n’en déplorent pas moins son infidélité politique ; après avoir eu, disent-ils, le mérite et l’honneur de refaire le parti conservateur, il l’a dissous de ses propres mains ; quand il a changé d’opinion et reconnu des nécessités qu’il n’avait pas prévues, au lieu de se retirer du pouvoir en en déclarant le motif, il s’est fait le promoteur actif et décisif des idées et des mesures qu’il avait longtemps combattues. Il a brisé toutes les traditions, mêlé tous les camps, sacrifié la grande politique, la politique de principes, à une politique de circonstance, et détruit ainsi ces grands partis, ces partis permanens et fidèles qui, sous le régime représentatif, sont les instrumens nécessaires et réguliers du gouvernement libre.

Dans ses luttes politiques, quand cette question s’est élevée, sir Robert Peel l’a éludée. Attaqué sur ce point, il a porté ailleurs sa défense ; il a contesté l’étendue des engagemens de parti ; il a réclamé les droits de sa conscience ; il a établi sa sincérité, son désintéressement, l’urgence de ses nouvelles mesures ; il a invoqué, à leur appui, la détresse populaire, la paix entre les classes, le bien public. Mais sur le rôle et l’état des grands partis politiques, sur les conséquences de son exemple pour leur désorganisation et de leur