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déguisé en femme pour se rapprocher d’Ansha, et qui a vu ses indignes manœuvres couronnées de succès.

ERJEB-PACHA.

Un jeune... Arnaute!... et moi, qui... (Il frissonne.) Zulma, je ne puis ajouter foi à de pareilles absurdités. Expliquez-moi comment cette folle idée s’est logée dans votre esprit; ne me cachez rien, et surtout craignez de vous jouer d’Erjeb-Paclia. Vous auriez lieu de vous en repentir, je vous assure. Dites-moi franchement et sans détour ce que vous savez, ou ce que vous croyez savoir.

ZULMA.

J’obéis, seigneur. Hier au soir Aïxa vint me trouver. — Sais-tu, me dit-elle, ce que fait en ce moment la sultane favorite (c’est ainsi que nous appelons votre chère Ansha)? — Non, répondis-je. — Devine, dit-elle. — Je ne saurais; elle trame quelque mauvais tour contre nous. — Tu n’y es pas; je vais te le dire, moi : elle est avec son amant. — Son amant! m’écriai-je, et où? — Viens, dit Aïxa, et elle m’entraîna dans un petit cabinet contigu à la chambre d’Ansha, et dont la cloison était disjointe. — Regarde et écoute, me dit Aïxa. Je regarde. Allah! Allah! que vois-je? Un jeune homme beau comme le jour... (se reprenant), mais pas aussi beau que vous, monseigneur... C’était Adilé. Il disait en parlant à Ansha d’une voix douce qui allait au cœur : « Comment faire, Ansha, puisque ce — pardon, seigneur, je ne répéterai pas le mot employé par ce traître,... — puisque... le pacha s’est mis dans la tête de... m’envoyer en présent au padisha? Que faire? que me conseilles-tu? — Je ne sais, répondit Ansha; ce que je sais, c’est que je mourrai sans toi. Comment vivre auprès de... Seigneur, je n’ose répéter ces blasphèmes. Je pâlissais et rougissais tour à tour en entendant votre nom chéri maltraité par ces lèvres sacrilèges. L’indignation me saisit enfin, et, sentant que je ne me contenais plus, je me retirai en hâte.

ERJEB-PACHA.

Il suffit; j’en ai assez entendu. Je veux être seul. Si vous avez dit la vérité, toute la vérité, Zulma, vous avez bien mérité de votre époux; si vous avez menti, tremblez...

ZULMA fait les salutations d’usage et sort en disant tout bas :

La place d’Ansha me revient de droit. Oh! mon jour viendra!


SCÈNE QUATRIÈME.
ERJEB SEUL, PUIS AÏXA.


ERJEB-PACHA.

Ai-je bien entendu? Ansha me trompe! La fin du monde serait-elle proche? Et Adilé, quelle apparence! Me méprendre à ce point! Mash’ Allah!

AIXA, à part en entrant.

J’ai aperçu Zulma qui sortait d’ici; je panerais qu’elle lui a appris ce dont nous étions convenues de l’informer de concert. La rusée! mais j’aurai une revanche. (Haut.) Seigneur, ma présence vous est-elle importune?

ERJEB-PACHA.

Tout au contraire, ma charmante Aïxa. Votre société m’est toujours