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Ansha est la deuxième femme d’Erjeb-Pacha et la mère d’Halil, qu’elle eut de son premier époux le frère d’Erjeb. Elle a donné d’autres enfans à ce dernier, avantage dont elle profite sans cesse pour humilier Fatma. Âgée de vingt-neuf ans, elle est dans tout l’éclat d’une beauté vigoureuse, qui a exercé un dangereux prestige sur le jeune Albanais.

Zulma et Aïxa, troisième et quatrième femmes d’Erjeb-Pacha, sont âgées l’une de dix-neuf ans, l’autre de vingt. Femmes vulgaires, grossières, ignorantes, mais fort belles, elles ont été achetées par le pacha dans un bazar, puis élevées à l’honorable condition d’épouses légitimes à l’occasion de leur grossesse, mais elles sont peu considérées dans le harem; elles n’ont aucunes qualités qui puissent racheter leurs défauts et leurs vices.


I. — LE SALAMLIK.

(Le lieu de la scène est une assez vaste pièce bordée de divans. À une des extrémités du salamlik[1], on a déposé en demi-cercle des coussins sur lesquels sont assis les interlocuteurs.)

ERJEB-PACHA, AHMET-EFFENDI, HAMID-BEY, OSMAN-BEY, ALI-BEY, assis en demi-cercle sur des coussins, tenant de la main droite une pipe, de l’autre une petite tasse pleine de café. Ils fument et boivent. Plusieurs esclaves se tiennent dans le fond de la salle ; d’autres sont debout à peu de distance des principaux personnages, portant des plateaux et prêts à reprendre les tasses vides.

ERJEB-PACHA.

Je vous ai fait prier de passer chez moi, parce que j’ai deux nouvelles à vous communiquer. La première est d’une haute portée politique (Il fume), la seconde ne concerne directement que moi et les miens, mais elle peut être considérée pourtant comme le présage d’événemens prochains fort importans. (Il boit.)

HAMID-BEY.

Tout ce qui vous concerne intéresse nécessairement vos amis, et pour ma part, j’espère que mon dévouement vous est bien connu. (Il boit).

AHMET-EFFENDI.

Rien d’ailleurs de ce qui a rapport à un personnage de votre rang ne saurait manquer d’une haute signification politique. (Il boit.)

OSMAN-AGA.

Mes honorables amis ont si bien interprété ma pensée qu’ils ne m’ont rien laissé à dire. (Il boit.)

ERJEB-PACHA.

Vos sentimens me sont bien connus, et d’ailleurs mes intérêts sont les Vôtres. (Il fume.) Voici maintenant de quoi il s’agit (il boit)[2]. Il y a plusieurs mois, un marchand d’esclaves de passage dans cette ville m’offrit une jeune Circassienne dont la rare beauté me frappa. Je compris sur-le-champ tout

  1. Littéralement lieu des complimens, — la partie de la maison d’un musulman où le maître reçoit des hôtes de son propre sexe.
  2. Les conversations entre Turcs sont entrecoupées par de longues pauses pendant lesquelles l’attention des interlocuteurs se partage invariablement entre leur pipe et leur tasse de café ; nous indiquons ce détail pour n’y plus revenir.