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LES POÈTES DES PAUVRES EN ANGLETERRE.

tramportée de notre temps des comtés où la vie était chère dans ceux où elle était à vil prix. Elle a fait comme les familles nombreuses qui émigrent à la recherche du bon marché. Maintenant elle occupe le Lancashire et le West-Riding, où elle a fait monter toutes les denrées. Nous pouvons rappeler aujourd’hui les lois des céréales, mais si nous ne voyons pas plus loin, que ferons-nous quand l’industrie émigrera sur le continent ? — À chaque jour suffit sa peine, répondait Elliott aux radicaux ; contentez-vous du rappel des corn-laws. »

Elliott s’éloignait encore plus des chartistes. Ceux-ci, à la vérité, étaient aussi des médecins ; mais plus intrépides que les précédens, qui déclaraient la société bien malade, ils se montraient déterminés à la guérir, même par le fer et par le feu. Elliott s’entendit d’abord avec eux. Les guérisseurs du corps social s’entendent toujours tant qu’il s’agit de constater des maladies dans le patient. Elliott parla dans les réunions chartistes, il siégea même quelquefois au bureau ; l’union et la concorde étaient d’abord édifiantes. Parmi les bannières que l’on déploya dans un meeting de Birmingham, on en remarquait une où étaient représentés trois pains taxés au même prix ; le premier était un pain anglais tout petit, le second un pain français de raisonnables dimensions, le troisième un pain russe d’une grosseur triomphale. On lisait cette légende au-dessous : Effets des lois sur les céréales. Mais quand les docteurs de médecine sociale ont achevé de consulter, quand ils veulent commencer d’agir, la discorde se met de la partie. Ce que voulaient Elliott et les chartistes, une partie des classes moyennes le voulait aussi, et quand les chartistes virent les classes moyennes le vouloir, ils ne le voulurent plus. C’est ici que les principes différens de l’école chartiste et de l’école radicale se trahirent. Les classes moyennes, émues par le mouvement chartiste, avaient cherché dans cette agitation quelque idée raisonnable ; elles s’étaient rattachées à la mesure pratique du rappel des lois sur les céréales. Les fabricans chantèrent les Corn-Law Rhymes avec leurs ouvriers. Les vers d’Elliott avaient le même sort que ceux de Bamford ; ils unissaient à leur tour des classes sociales au lieu de les diviser. De leur côté, les chartistes, fidèles à leur esprit de séparation, prirent en dégoût ce que les bourgeois demandaient comme eux. « Les fabricans, disaient-ils, ne demandent le rappel des corn-laws que pour faire pièce aux propriétaires, ils sont généreux avec la bourse de leurs rivaux ; c’est le coton qui dépouille le blé pour nous faire l’aumône. Nous ne serons pas ses dupes, nous ne lui prêterons pas nos bras pour faire ce beau coup ; nous ne voulons pas de son hypocrite bienfait, timeo Danaos. » C’est ainsi que la haine du coton et de ce qu’on