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mort, et les derniers vers du poète ouvrier furent adressés à son oiseau favori. On ne peut imaginer pour un poète une fin plus douce ni plus pastorale.

La Vie d’Ebenezer Elliott était dédiée par M. Watkins à sir Robert Peel ; mais ce grand homme d’état mourut au moment même où il allait recevoir cet hommage. Celui qui prépara de longue main la suppression des lois sur le blé fut suivi de près dans la tombe par celui qui l’accomplit. On évaluait récemment à deux cent cinquante mille le nombre de pages que la ligue pour la suppression des lois sur les céréales avait fait éclore, en promettant un prix au meilleur livre touchant cette matière. Les Corn-Law Rhymes, bien antérieures à cet appel, ont fait toutes seules beaucoup plus pour la cause du pain à bon marché que le quart de million de pages qui furent imprimées depuis. Elliott forma dans Sheffield la première association contre la taxe du pain, Antibread-tax Society. Comme elle n’était composée que d’ouvriers, toute la peine et tous les soins étaient pour lui. Le torrent qui devait emporter les lois sur les céréales n’était alors qu’un ruisseau. Après avoir coulé quelque temps dans son propre lit, ce ruisseau se mêla à d’autres courans. Elliott, avec son bagage d’idées économiques et de chansons, passa du côté de la ligue qui travaillait à la réforme parlementaire ; mais on sait que cette réforme, objet d’espérances et de craintes également immodérées, trompa un peu tout le monde : Elliott ne fit pas exception à la loi générale, et le mouvement politique de la ligue le jeta de côté avec son libre-échange du blé. Il ne se laissa pas abattre ; ramassant les débris de son naufrage, il recommença ses assemblées sous un autre nom, Anti-Corn-Law Association, publia ses Corn-Law Rhymes au moment où il se trouvait le plus abandonné à lui-même, et attendit qu’un autre mouvement dans le pays lui permît de relever son drapeau. Cette agitation nouvelle, qui le trouva tout prêt, mais qui le devait tromper encore, c’était le chartisme.

Ebenezer Elliott n’était pas chartiste : il fut simplement un partisan du pain à bon marché. Il se distinguait des radicaux, comme un médecin entêté d’une panacée universelle se distingue des autres médecins. Celui-ci, par exemple, croit à la puissance illimitée de l’eau. Prenez son remède, buvez de l’eau, vous guérirez de toutes les maladies. Les autres ne méprisent pas ce moyen, ils le réclament, ils l’imposent, mais ils ne croient pas que l’eau soit toute la médecine. Elliott était le médecin à la panacée universelle. Les radicaux demandaient comme lui le rappel des lois des céréales, mais « gardez-vous, disaient-ils, de trop compter sur ce moyen ; c’est un remède qui ne guérit qu’une maladie, et quand on l’emploie seul, il arrive bientôt un temps où il ne la guérit même plus. L’industrie s’est