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LES POÈTES DES PAUVRES EN ANGLETERRE.

blancs pour tous les climats ? Contrains ce voleur de se nourrir lui-même ; alors proclame-toi un homme.

« De chétifs tyrans feront-ils savoir à des hommes libres quand ils pourront acheter et vendre ? Loin de toi les lâches pensées ! Dis aux mécréans les noms qu’ils méritent.

« Veux-tu ramper à terre sous les menaces de tes ennemis ? N’as-tu pas reçu une âme à ta naissance ? Les chiens mangent, sont fouettés et hurlent, et toi, chien, tu meurs de faim et tu es fouetté !

« Veux-tu donc encore nourrir des coquins entretenus dans des palais ? Tes fils seront-ils les esclaves de traîtres ? Reposeront-ils dans la fosse du workhouse ? Travailleront-ils pour gagner la paie de la paroisse ?

« Pourquoi aimer ? pourquoi te marier ? pourquoi prendre Marie pour ta fiancée ? Faudra-t-il, en mourant, qu’elle maudisse ton lit ? Non, tyrans ; non, par le ciel ! »

Les libertés varient selon les pays ; il faut que les libertés anglaises aient le tempérament bien robuste pour résister à de tels excès. Ce qui nous étonne ici, ce n’est pas la violence de ces chants : les paroles ne sont que du vent ; elles n’ont de force que lorsqu’elles trouvent un point d’appui ; mais conçoit-on que ces refrains séditieux aient été répétés par des milliers de voix sans émouvoir d’autres tempêtes que celles des cris et des grognemens ? Conçoit-on qu’il les fallut chanter quinze ans pour qu’ils produisissent quelque chose ?

On a remarqué sans doute cette aménité à l’adresse des riches, ces coquins entretenus dans des palais. C’est là un des lieux-communs d’Elliott, c’est son injure de prédilection ; elle exprime d’un mot tous ses griefs ; elle rappelle d’un seul coup les intérêts qui attachent les grands propriétaires aux lois sur les céréales. Le blé est arrêté dans les ports afin que les récoltes des ducs se vendent bien ; le pain est cher afin que les marquis conservent de gros revenus. Riches à la charge de l’état, opulens par la charité publique, ils forment ce qu’Elliott appelle un paupérisme d’un genre nouveau. Vivant sur une taxe particulière, ils sont des pauvres d’une nouvelle espèce, pour lesquels la langue anglaise a le mot de paupers, qui ne désigne que les pauvres reconnus, les pauvres officiels, ceux de la statistique et de la taxe. Ce mot manque à notre langue ; puisse-t-elle rester longtemps dans cette heureuse pénurie ! Cependant la muse des Corn-Law Rhymes n’est pas toujours celle de l’insulte, et tous ses vers ne sont pas écrits avec du fiel. Voici, par exemple, la Prière du Jacobin, qui respire des sentimens chrétiens que le titre ne promet pas.

« Venge le pauvre dépouillé, ô Seigneur ! mais non par le feu, ni par l’épée, ni par la mort dont périrent les victimes de Peterloo, écrasées au sabot des chevaux par une lâche tyrannie. Venge nos haillons, nos chaînes, nos