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sera sous les verroux d’une prison d’état avec Henri Hunt, chef de parti, grand agitateur, un leader radical. Bamford sera traité d’ami et de frère, on n’aura que des mots affectueux pour ce cher Bamford, on lui demandera des nouvelles de sa femme : l’ouvrier et l’homme politique sont égaux devant l’émeute, devant les juges et devant les verroux ; mais que Bamford se présente chez le tribun en tournée, un jour de conférence avec des personnes bien posées : Henri Hunt ne sera pas visible ; qu’il revienne trois fois à la charge, il sera trois fois repoussé.

Est-ce à dire que le rapprochement des classes soit une fiction, le radicalisme une duperie, et que les poètes des pauvres aient chanté l’union dans le désert ? Le rapprochement existe et l’union s’établit sur son vrai terrain, la politique. En veut-on une preuve ? Il y a trente ans, quand des ouvriers anglais étaient arrêtés pour cause politique, ils ne trouvaient pas de répondans et subissaient la prison préventive. Les prévenus appartenant à la bourgeoisie fournissaient caution ; le tisserand et le tailleur attendaient le jugement sous les verroux. Aujourd’hui les livres sterling s’offrent d’elles-mêmes pour faire ouvrir les portes de la prison, et il n’y a plus pour ainsi dire de détention préventive en matière politique. Qu’importe que le pauvre ne mange qu’à la cuisine du riche, pourvu qu’il y mange ? Le classism se réduit en définitive à la distinction du fin drap et du gros drap, le broad cloth et le narrow cloth ; on n’empêchera pas le gros de jalouser le fin ; la question est de les faire vivre l’un à côté de l’autre, et de leur faire comprendre qu’ils sont nécessaires l’un à l’autre.

On connaît la physionomie du pauvre de Crabbe et de Thomas Hood, soumis et résigné, ou tout au plus plaintif et gémissant. On entrevoit déjà ce que peut être le pauvre introduit par le radicalisme dans la mêlée de la politique, le pauvre de Bamford et d’Elliott. Il s’assemble dans les chapelles obscures ou abandonnées ; il se donne rendez-vous dans une lande ou parmi les bruyères ; il écoute des lectures, fait des discours et chante des vers sur l’air de quelque vieille fanfare. Il vit quelquefois sur le salaire du meeting ou de l’émeute ; le club est son gagne-pain. Quelquefois il exerce une petite industrie apparente, qui couvre ou la mendicité ou la conspiration, peut-être l’une et l’autre à la fois. Ce vieillard qui tient un bâton d’une main, un panier de l’autre, semble parcourir le pays pour vendre quelque chose ; il a des pelotons de laine filée pour les ménagères laborieuses ; il tient des bas et de la bonneterie. Il ne vend presque rien, et pourtant il a des amis partout ; il sait rarement où il soupera le soir, mais il sait qu’il soupera. Ce pauvre nouveau est réformiste et radical, et en cette qualité il signe des pétitions, il use de ses droits de citoyen,