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un poème, métaphore peu dangereuse, si elle ne sortait pas du domaine de la rhétorique ! Ce n’était d’abord qu’une alliance de mots, une forme de déclamation ; mais c’était le dernier trait qu’on pouvait risquer sans s’écarter du terrain philosophique. Un pas de plus, et l’on était dans la politique et même dans le socialisme. Ici devaient s’arrêter les poètes des pauvres qui ne voulaient ni embrasser un parti, ni marcher sous un drapeau.

II. — école politique. — samuel bamford.

« Ô vous, inutiles enfans d’un inutile métier, hommes des champs, laissez là votre charrue et votre bêche ! Souvenez-vous que Burns et Bloomfleld abandonnèrent les travaux d’un état servile, et, luttant contre les orages, triomphèrent du destin ; pourquoi n’en feriez-vous pas autant ?… Allons, puisque la civilisation daigne éclairer à ce point les enfans de la Bretagne et bénir notre île inspirée, que la poésie envahisse tout, les boutiques de l’ouvrier et la chaumière rustique. Continuez, mélodieux savetiers, à nous enchanter par vos concerts ; fabriquez à la fois une pantoufle et une stance ! Vous serez lus des belles ; vos sonnets plairont sans doute, et peut-être aussi vos souliers. Que les tisserands se vantent de l’enthousiasme pindarique, et que les poèmes des tailleurs soient plus longs que leurs mémoires. Les petits-maîtres, reconnaissans de leurs harmonieux concerts, paieront ponctuellement les vers comme les habits. »

C’est en ces termes que lord Byron accablait les poètes ouvriers. Le goût du public pour les poètes sortis des classes inférieures n’a pas diminué depuis le temps de Childe Harold : ils forment une branche particulière de la littérature nationale. Les Anglais ont, je crois, cette prétention de posséder seuls des poètes qui n’ont pas reçu d’éducation. Sans chercher si nous n’avons pas chez nous des exemples, illustres même, de cette nature d’esprits tout spontanés, aussi purs que l’on voudra de toute empreinte de l’art classique, nous admettons comme possible que ces poètes sans culture, dont on se fait gloire, soient plus nombreux chez nos voisins. D’où leur vient cet avantage ? et comment l’histoire de la littérature anglaise contemporaine a-t-elle inscrit, depuis cinquante ans, tant de noms de paysans et d’ouvriers ? On sait que le peuple anglais est un de ceux qui ont reçu le plus largement le don de la poésie, que la littérature populaire, ballades et chansons, a conservé dans ce pays, non pas plus de vitalité, mais plus d’influence, non pas plus de place, mais une plus haute place que dans tout autre. Elle a laissé des empreintes ineffaçables dans toute la littérature nationale, et l’élément populaire y possède une part qui n’est pas aussi grande chez nous. Cependant il serait difficile d’expliquer le succès des poètes populaires, des poètes des pauvres particulièrement, par des