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LES POÈTES DES PAUVRES EN ANGLETERRE.

aux fêtes de Louis XIV. Sans doute il prenait goût quelquefois à la nature champêtre et à la vie pastorale ; mais, dans cette fantaisie même, il cherchait la peinture de l’aisance et du bonheur. Pour qu’il se plût dans les chaumières, il leur fallait un air de prospérité vraie ou factice. Les choses ont bien changé. L’ambitieuse et entreprenante Pauvreté a gagné le dieu des vers ; ce n’est point par surprise, et les fumées du nectar n’y sont pour rien : le dieu de la poésie moderne aime les réalités, il ne dédaigne pas plus les haillons que les vêtemens de soie et d’or.

C’est surtout en Angleterre qu’il y a une poésie des pauvres. La France aime trop l’idéal en littérature pour que le réel lui plaise dans sa nudité ; nous ne lisons guère des vers que pour fuir la vie humaine telle qu’elle est, et il faut, pour qu’elle nous sourie, qu’elle s’arrange comme nous voudrions qu’elle fût. Nous laissons la vérité positive à la prose, et la question d’art demeure toujours la première à nos yeux. Chez nos voisins, la poésie même veut être positive ; elle est d’autant plus nationale qu’elle approche davantage des réalités. Plus elle est populaire, plus elle se nourrit de faits et d’observations exactes. Il semble que ce soit là en effet le caractère de la poésie d’un peuple marchand et industriel ; il faut en quelque sorte qu’elle ait aussi une base matérielle de son crédit, qu’elle ait son capital de faits et d’expérience. La poésie des pauvres est ce qu’il y a de plus réel, de plus tristement réel, dans le domaine de la littérature anglaise. Elle n’a pas seulement une valeur littéraire, elle en a une politique et sociale ; elle est une force dont on peut calculer la portée. Elle a pesé dans la balance des intérêts généraux du pays, et a laissé sa trace dans l’histoire contemporaine de l’Angleterre.

I. — école philosophique. — crabbe et hood.

La poésie des pauvres est aujourd’hui toute politique ; c’est dans l’histoire des agitations populaires qu’il la faut chercher. Cependant elle a été philosophique et morale avant d’être politique ; elle a été calme et reposée avant de descendre sur la place publique et de présenter au parlement des pétitions couvertes de six millions de signatures. C’est dans Thomas Hood, c’est dans Crabbe que sont ses origines ; mais les ancêtres, il faut le dire, ne ressemblent guère aux enfans. Non-seulement Crabbe et Hood ne sont jamais entrés dans le monde des réalités politiques : ils diffèrent de leurs successeurs par le ton, par les procédés, ils en diffèrent encore par les idées, les sentimens, l’éducation, la culture intellectuelle et morale. Ils appartiennent tout entiers à la littérature et vivent de ses produits ou de ses récompenses. Les poètes des pauvres de la nouvelle école