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cœur qui parle. Vous dire que je me serais si promptement décidé si vous aviez été heureuse, c’est autre chose ; mais je vois bien au fond que vous êtes triste. Moi, de mon côté, j’ai le caractère singulièrement fait : en vous écoutant tout à l’heure, j’ai compris que vous étiez la seule femme qui pût me convenir. Ma vieille affection pour vous en est devenue plus vive. Si vous voulez, nous mettrons ensemble votre résignation et ma philosophie, votre cœur et mon expérience, et nous tâcherons d’en faire un bonheur.

Laure regarda Philippe et se tut.

— Vous hésitez à répondre ? ajouta-t-il. Pourquoi seriez-vous plus embarrassée que moi ? Aussi franchement que je vous ai parlé, parlez-moi franchement. Si, tel que je suis, avec mes qualités et mes défauts, je ne vous conviens pas pour mari, il faut le dire. Croyez-vous que je n’en reste pas moins votre ami ?

— Non, non, ce n’est pas cela, dit Laure : je n’en puis souhaiter de meilleur, et à qui je confie avec plus de sûreté le soin de ma vie ; mais avant d’accepter ou de refuser, j’ai un aveu à vous faire. Je ne puis répondre qu’après que vous l’aurez entendu.

— Ainsi vous pensez que cet aveu peut modifier mes intentions ?

— Je le crois.

— Et voilà en quoi vous vous trompez.

— Comment, sans savoir…

— Ne me dites rien. Que cet aveu vous paraisse une nécessité, je le veux bien, et rien ne prouve mieux la délicatesse de vos sentimens, la droiture de votre cœur ; mais moi, je n’en veux rien savoir. Je reviendrai dans huit jours, et si vous mettez votre main dans la mienne, eh bien ! Laure, vous serez ma femme, et je vous remercierai de la confiance que vous mettez en moi.

Laure regarda longtemps Philippe s’éloigner.

— Noble cœur ! dit-elle ; il m’a devinée !

Tandis que cet entretien établissait de nouvelles relations entre Laure et Philippe, M. de Courtalin et Guillaume Giraud causaient dans une autre partie du parc. Le député et le jeune lion suivaient les bords d’une pièce d’eau en riant.

— Il est clair que vous avez perdu la partie, disait Guillaume ; mais j’admire votre constance : la bataille perdue, vous ne quittez pas le terrain.

— Et pourquoi le quitterais-je ? répondit M. de Courtalin. Bien au contraire je m’y cramponne, je m’y établis, j’y reste à perpétuité.

— C’est d’un grand cœur !

— Eh ! non ; c’est d’un esprit habile.

— Comment cela ?