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condition, bourgeois, ouvriers, hommes, femmes, enfans sur les bras de leurs mères, pauvres gens qui voulaient aussi savoir ce qu’ils avaient à espérer ou à craindre pour la vie de l’homme qui avait affranchi leur pain de toute taxe. Le mouvement des voitures devint tel qu’on fut obligé de les arrêter assez loin, de peur que le bruit n’incommodât le malade, et le nombre des piétons qui attendaient des nouvelles était si considérable, qu’on distribua des copies du bulletin à plusieurs constables ou policemen qui furent chargés, sur divers points, d’en donner tout haut lecture au peuple.

L’état de sir Robert Peel s’aggrava rapidement. Son excitation devint telle qu’on fut obligé d’écarter de sa chambre sa femme et ses enfans, dont la présence amenait à chaque instant quelque dangereuse émotion. Tantôt il entrait dans un violent délire et voulait se lever, tantôt il tombait dans un affaissement si complet que sa fin semblait prochaine. Plusieurs fois il parut préoccupé de la pensée de ses amis ; les noms de lord Hardinge et de sir James Graham revenaient particulièrement sur ses lèvres. Le mardi 2 juillet, à quatre heures du matin, il s’endormit et eut quelques heures de repos qui rendirent quelque espérance ; mais à deux heures après midi les symptômes les plus alarmans se manifestèrent, le pouls allait s’affaiblissant et se précipitant à la fois ; à six heures, il donnait cent trente pulsations à peine saisissables. Les médecins déclarèrent que le moment fatal n’était pas loin. L’évêque de Gibraltar, le docteur Tomlinson, vieil ami de sir Robert, fut appelé. À son arrivée, lady Peel et la famille de sir Robert rentrèrent dans la chambre et entourèrent le lit, tous silencieux et en prières. Sir Robert, un moment ranimé, les regarda, les reconnut, et faisant effort pour leur tendre la main, prononça ces mots à peine articulés : « Dieu vous bénisse ! » Lord Hardinge et sir James Graham, qui venaient d’arriver, furent admis dans la chambre ; lady Peel tomba dans un tel état qu’il fallut l’éloigner. Sir Robert ne parut pas s’en apercevoir ; toute souffrance cessa avec toute connaissance, et à onze heures neuf minutes il expira, sans agonie, ayant autour de lui trois de ses frères, trois de ses fils, son gendre, lord Villiers, ses deux amis, lord Hardinge et sir James Graham, et ses médecins.

Le lendemain mercredi, 3 juillet, quand la chambre des communes se réunit, aucun des membres du cabinet n’était présent ; un de leurs amis les en excusa : « Lord John Russell, dit-il, n’était pas encore revenu de la campagne, où il était allé la veille. » M. Hume, M. Gladstone et sir Robert Inglis, après quelques paroles d’hommage et de regret profond, proposèrent à la chambre de lever la séance et de s’ajourner. Le jour suivant, lord John Russell, en déposant sur le bureau le rapport de la commission qui adoptait Hyde-Park comme