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REVUE DES DEUX MONDES.

— Oui, un mariage. Vous devinez les choses à demi-mot.

Les yeux de M. de Courtalin cherchaient à lire dans ceux de M. Closeau du Tailli, qui souriait.

— Et j’ose croire, ajouta le rentier, que vous ne désapprouverez pas le choix auquel on s’est arrêté. Un homme tout à fait tel que ma filleule pouvait le désirer Mais je veux laisser à Mlle Sorbier elle-même le plaisir de vous apprendre son nom.

Mlle Sorbier est trop bonne… Je sais qu’elle m’a toujours compté au nombre de ses amis.

— Oh ! elle l’a bien prouvé ce soir ! poursuivit le rentier d’un air fin, comme un homme qui laisse échapper une indiscrétion.

M. de Courtalin pressa silencieusement la main de M. Closeau du Tailli.

— Je crois, reprit-il en voyant que son interlocuteur ne poussait pas plus loin ses confidences, que vous portez quelque intérêt à M. Maurice de Treuil.

— Oui, beaucoup… il est sans fortune.

— Vous plaît-il que je le recommande au ministre ? Il est question de grands travaux d’art à Saint-Germain-l’Auxerrois et à Saint-Germain-des-Prés.

— Je vous en serai reconnaissant.

— La chose est faite… Le directeur des beaux-arts est de mes amis… Je veux que vos protégés soient les miens.

Ce fut au milieu de ces conversations que la calèche de M. Closeau du Tailli s’arrêta rue de Lille, devant la porte de M. de Courtalin.

— Adieu, cher monsieur, et à bientôt, j’espère, dit-il en saluant le député d’un air mystérieusement amical.

La lourde porte cochère de l’hôtel venait à peine de se refermer derrière M. de Courtalin, que le visage de M. Closeau du Tailli prit une expression d’ironie amère.

— Va ! va ! murmura-t-il, je viens de payer aujourd’hui 24 juin 1845 la lettre de change que tu as tirée sur moi le 7 janvier 1843 ! nous sommes quittes !

À quel épisode de sa vie un peu mêlée de toutes choses M. Closeau du Tailli faisait-il allusion ? C’est ce qu’il est bon de faire savoir.

De 1821 à 1842, M. Closeau du Tailli, chef de la maison Closeau, Desfossés et Cie, armateurs et négocians au Havre, avait été l’homme le plus heureux qui fût en Normandie. Riche, habile et peu scrupuleux en affaires, adroit à cacher ses habitudes sous un air de rondeur, membre d’une société de commerçans où l’on cultivait le dimanche la chansonnette et la gaudriole, M. Closeau du Tailli ne prévoyait pas que rien pût mettre un terme à ses prospérités. Négociant et fort âpre au gain de neuf heures du matin à six heures du soir, il avait une petite maison derrière Sainte-Adresse, où le capitaliste à huis-clos se