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REVUE DES DEUX MONDES.

— La croix et six mille francs !… murmura M. Sorbier ; que de choses pour un tableau !

Mme  Sorbier fît un effort suprême pour rappeler la victoire fugitive sous les drapeaux de M. de Courtalin.

— Voilà qui est fort beau, dit-elle. La croix, une palette, de la réputation et le titre de comte ! on connaît bien des gendres qui n’en apportent pas autant ; mais enfin tout cela se peut-il comparer à M. de Courtalin, qui a des terres et des rentes bien à lui, un nom honorable, et, avec le titre de baron, la juste influence que donne la qualité de député ? Il est en passe de devenir conseiller d’état, ambassadeur, ministre !… Tout cela vaut bien pour notre fille les pinceaux de M. de Treuil, lorsque surtout ces pinceaux ont des dettes !…

Mme  Sorbier avait réservé ce mot terrible pour le dernier ; c’était comme une bombe après une pluie de mitraille. M. Sorbier releva la tête.

— Des dettes ! dit-il ; il a des dettes !

Avoir des dettes constituait pour M. Sorbier la plus grande et la moins excusable de toutes les fautes ; c’était à la fois une imprudence et un crime, un témoignage irrécusable de la légèreté du caractère et un indice certain de tendances coupables contre lesquelles on ne pouvait trop prendre de précautions.

M. Closeau du Tailli comprit que la bataille était perdue, s’il n’avait recours aux moyens décisifs.

— Soit, dit-il, Maurice a des dettes ; mais Maurice n’est pas mêlé, comme M. de Courtalin, à des affaires industrielles au milieu desquelles les billets de banque fondent comme de la neige au soleil. Votre baron n’est-il pas quelque chose comme administrateur de je ne sais quelles mines de plomb argentifère ?…

— Les mines de Saint-Flavien, dit Mme  Sorbier, des mines d’un produit magnifique.

— Mais d’abord il faut verser le capital. Raisonnons un peu, s’il vous plaît. Combien donnez-vous à Sophie, cent mille écus, je crois ?

— Oui.

— M. de Courtalin les oubliera-t-il dans votre poche ? Vous ne le pensez pas, et vous auriez tort de le penser. Voilà donc trois cent mille francs qu’il faudra tirer de votre escarcelle, monsieur Sorbier ; Maurice ne demande rien.

— Rien ? répéta le vieux banquier avec un accent où se réveillait toute la violence des appétits qui lui avaient mérité le sobriquet de Sorbier-le-Loup.

— C’est-à-dire qu’il ne demandera que la rente du capital, et la dot restera entre vos mains… Mais est-ce tout ? poursuivit M. Closeau du Tailli. M. de Courtalin, dont vous faites un cas si rare, ma chère