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MAURICE DE TREUIL.

La porte de l’opposition venait d’être rouverte ; Mme  Sorbier s’y jeta.

— M. de Courtalin, dit-elle, a quelque chose comme vingt-cinq mille livres de rentes, trente peut-être.

— Hum !… fit M. Closeau du Tailli, les a-t-il ?

— Mettons en vingt, quinze, si vous voulez, c’est tout juste quinze ou vingt de plus que M. le comte de Treuil.

Cette fois M. Closeau du Tailli n’avait point de parade pour esquiver le coup.

— J’en conviens, dit-il, Maurice n’a rien.

— Pauvre garçon ! murmura M. Sorbier d’un air de commisération.

— Mais il a son talent, riposta vigoureusement M. Closeau du Tailli, et ce talent, bien exploité, peut lui rapporter, bon an, mal an, trente mille francs au bas mot.

— Trente mille francs ! s’écria M. Sorbier, trente mille francs de couleurs !

— Et peut-être quarante.

M. Sorbier regarda sa femme ; jamais il ne lui était venu dans la pensée qu’un peu de peinture appliquée sur de la toile pût valoir tant d’argent. Mme  Sorbier sourit d’un air incrédule.

— Ah ! dit-elle, il faudrait voir.

— Mais, reprit M. Closeau du Tailli, le dernier tableau qu’il a exposé lui a été payé six mille francs par le gouvernement.

— Un tableau grand comme ça ! six mille francs !

M. Sorbier était étourdi ; ce qu’il venait d’entendre le faisait voyager en esprit dans le pays des chimères.

— Mais alors, reprit-il, s’il faisait dix ou douze tableaux par an, il gagnerait dix ou douze fois six mille francs.

— Certainement, répondit le rentier.

Il venait de regagner le terrain perdu, et de le regagner brillamment ; Mme  Sorbier le sentit. — Je ne dis pas que les pinceaux de M. Maurice, reprit-elle, ne puissent lui créer des moyens d’existence honorables ;… mais M. le baron de Courtalin est député. Un député !… c’est beaucoup.

— Ce n’est rien.

— Oh ! s’écria Mme  Sorbier avec indignation.

— Il peut ne pas être réélu ; la position de Maurice lui vient de son talent, et son talent ne lui manquera jamais.

— M. de Courtalin va chez les ministres.

— Maurice va aux Tuileries.

— Il a été question d’un poste diplomatique fort important pour M. de Courtalin.

Le Moniteur n’en a pas parlé, et le nom de Maurice brillait ce matin dans les colonnes du journal officiel… il a la croix…