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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ses manières, son langage, sa tournure ne sont-ils pas d’un homme du monde ?

— Oui, reprit la femme.

— Tout à fait, continua le mari.

M. Closeau du Tailli frappa le parquet à petits coups du bout de sa canne, habitude qu’il avait toutes les fois qu’il éprouvait une contrariété.

— Hum ! pensa-t-il, voilà des monosyllabes qui ne présagent rien de bon.

Mais, sans se laisser décourager, il courut droit au but, comme ces vaillans capitaines qui dans les momens périlleux chargent à la baïonnette.

— En somme, reprit-il, puisque vous le trouvez si bien, vous ne verrez aucun inconvénient à le prendre pour gendre ?

Agathe se tut. M. Sorbier, qui la regardait, l’imita.

— Vous savez le proverbe, poursuivit M. Closeau du Tailli, qui ne dit mot…

— Nous ne disons pas cela, répliqua vivement Mme Sorbier.

— Certes non, appuya M. Sorbier.

— Alors expliquez-vous, et si vous avez des motifs de refuser le gendre que je vous présente, faites-les-moi connaître.

— Nous ne le refusons pas, objecta M. Sorbier, un peu effrayé du vif accent de son interlocuteur.

— Vous ne le refusez pas, et vous ne l’acceptez pas ; il faut cependant bien conclure. Un oui ou un non, c’est bientôt dit.

— Pas si tôt, reprit Mme Sorbier en intervenant dans le débat ; tout l’avenir de notre fille est en jeu, il est donc permis d’hésiter. Vous êtes le parrain de Sophie, mon cher cousin, presque son père…

— C’est pourquoi je lui propose mon ami Maurice ; elle n’aura jamais de meilleur mari.

— J’avais conçu pour elle un autre projet.

— Ah ! oui, M. de Courtalin.

Une moue dédaigneuse plissa la bouche de M. Closeau du Tailli.

— Et pourquoi M. de Courtalin, s’il vous plaît ?

— Mais d’abord il est baron, et c’est toujours agréable pour une jeune femme de s’appeler Mme la baronne.

— N’est-ce que cela ? Maurice est comte. Sophie s’appellera Mme la comtesse.

— Comtesse ! s’écrièrent les deux époux.

Il y eut un moment de silence occasionné par la surprise.

— Oui, comtesse, reprit M. Closeau du Tailli, fier de ce premier succès. Maurice ne porte pas son titre par suite de certaines idées dont nous le ferons revenir aisément. Il ne croit pas que noblesse et pauvreté soient compatibles.