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et qu’ils avaient fait un certain jour, étant en récréation, un grand échange de billes et de toupies, à la suite duquel il y avait eu combat singulier en champ clos, dans un coin de la cour, à coups de poing. Ces coups de poing, dont l’issue avait été douteuse, avaient cimenté une vive amitié entre Les deux écoliers ; un brusque départ, qui avait ramené Guillaume Giraud au fond du pays d’Aunis, dont il était originaire, en avait seul interrompu le cours.

Cette amitié venait de se réveiller après une lacune de quinze ans, et Guillaume, qui avait l’humeur très expansive, exprimait son contentement par de vigoureuses poignées de mains.

— Pardieu ! mon cher, vous arriverez, disait-il à Maurice ; je n’ai jamais vu de vos œuvres, quoique je passe pour un assez bon connaisseur, mais cela se devine à votre air.

— Vous êtes trop indulgent, mon cher Giraud.

— Non, d’honneur ! je gagerais volontiers dix louis que vous avez du talent… Tenez-vous le pari, cher baron ?

M. de Courtalin tourna la tête à demi.

— Merci, dit-il, avec moi vous perdez toujours.

Maurice regarda M. de Courtalin.

— Ah ! ah ! se dit-il, un rival.

Mais Guillaume Giraud frappa sur l’épaule de Maurice :

— Dites donc, Maurice, si nous nous tutoyions comme autrefois, qu’en dites-vous ?… Le tu me vient aux lèvres.

— Comme vous voudrez.

— Alors, dis-moi, que nous fais-tu dans ce moment ?… Tu travailles à quelque tableau, sans doute ?

— Oui.

— Un paysage, un intérieur, une bataille, une marine ?

— Non,… une scène de ligueurs au château de Blois…

— Ah ! le château de Blois !… Pardieu ! je connais Blois, je l’ai traversé une nuit en chaise de poste.

M. Sorbier, qui traçait des chiffres sur le sable, releva la tête.

— Et moi donc, croyez-vous que je ne la connaisse pas, cette maudite ville ?

— Monsieur Sorbier ! dit Mme  Sorbier avec l’accent de la remontrance.

— Et pourquoi ne le dirais-je pas ? C’est à Blois que demeurait un certain Michel qui était bien le plus grand scélérat que j’aie jamais rencontré. Il m’a fait perdre douze mille francs qu’il m’a volés comme s’il me les prenait dans la poche. Je n’en ai jamais revu un sou. Si j’avais eu ces douze mille francs, j’aurais pu acheter une maison qu’on a mise en vente hier au bout du parc ; mais, bah ! il les a emportés !