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SIR ROBERT PEEL.

on fut obligé de le retenir, et il retomba dans un demi-évanouissement. Arrivé devant sa porte, il reprit sa pleine connaissance, et debout, sans appui, entra dans la maison. Lady Peel et plusieurs personnes de sa famille, informées de ce qui venait de se passer, l’attendaient dans le vestibule avec la plus vive anxiété. La rencontre émut et troubla extrêmement sir Robert. Il s’évanouit de nouveau dans les bras du docteur Foucart. Transporté dans la pièce la plus voisine, la salle à manger, on l’y déposa sur un canapé. Il ne sortit plus de là, et tout mouvement lui était si insupportable qu’on eut grand’peine à le faire passer du canapé sur un lit hydraulique, où il ne cessa de s’agiter douloureusement.

Appelés aussitôt, les médecins et les chirurgiens les plus distingués de Londres accoururent, entre autres sir Benjamin Brodie, qu’on eut quelque peine à trouver ; mais quand ils voulurent examiner de près l’état du malade, ils se virent en présence d’une difficulté aussi imprévue que pénible. Naturellement et même en santé, la susceptibilité nerveuse de sir Robert Peel était extrême, et depuis quelque temps elle s’était accrue à ce point que, malgré son goût vif et sa longue habitude de la chasse, il y avait presque renoncé par déplaisir de l’ébranlement que son propre coup de fusil lui causait. Toute douleur physique le troublait et l’agitait étrangement. Après sa chute, le trouble, l’agitation, l’aversion de la douleur furent telles que ses médecins ne purent parvenir à bien reconnaître tous les effets de l’accident et la portée du mal. Sir Robert se défendait de tout examen, de tout contact, et entrait, quand on insistait, dans une irritation alarmante. On constata une fracture de la clavicule, et on en commença la réduction ; mais l’opération demeura incomplète à cause de l’angoisse du malade, et au bout de quelques heures il demanda avec tant de passion à être délivré des bandages qu’on ne crut pas pouvoir s’y refuser. Il demeura ainsi à peine pansé, livré aux suites naturelles de l’accident, et la science humaine fut plus timide et plus impuissante pour le plus grand ministre de l’Angleterre qu’elle ne l’eût été pour le plus obscur et le plus pauvre de ses habitans. Ce fut seulement après la mort de sir Robert Peel qu’on reconnut que la cinquième côte gauche, fracturée aussi, avait pesé sur le poumon et amené un engorgement qui devint, dit-on, la cause déterminante de la mort.

Dès que la nouvelle de l’accident se répandit, l’intérêt le plus vif et le plus universel éclata ; grands et petits, la cour et le peuple, le prince Albert, le prince de Prusse, le duc de Cambridge, tous les personnages considérables de l’Angleterre venaient et revenaient à Whitehall-Gardens pour demander des nouvelles de sir Robert, et ils trouvaient assemblés tout à l’entour une multitude de personnes de toute