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gnifique ordonnance des jardins et la belle vue dont on jouissait à la Colombière.

— Ah ! oui, très belle ! répondit M. Sorbier en soupirant. La Colombière dévore de quinze à dix-huit mille francs par an : on appelle cela un jardin d’agrément. Ces buissons de roses que vous admirez tant, on ne sait pas ce qu’ils coûtent. Il faut moins d’argent pour faire pousser le blé qu’on sème en Beauce, et il rapporte des écus… Les fleurs, ça ne rapporte que des jardiniers.

— Oh ! oh ! murmura Maurice, le beau-père se démasque.

Mais tandis que M. et Mme  Sorbier recevaient Maurice et M. Closeau du Tailli, Sophie, que sa mère croyait dans le parc occupée à cueillir un bouquet, était cachée derrière les persiennes d’une petite pièce au rez-de-chaussée de la villa, et regardait l’artiste de tous ses yeux.

— Ah ! ah ! disait-elle à demi-voix, c’est donc là le bel oiseau bleu dont me parlait sans cesse mon parrain ?

Elle entr’ouvrit doucement les persiennes et avança la tête avec prudence.

— Maman croit que je ne comprends rien à tout son petit manège, reprit-elle ; mais elle oublie que j’ai vu la Demoiselle à marier. Quand elle m’a dit ce matin : « Mets ta robe blanche, tu sais, la robe de mousseline, » j’ai deviné qu’il y avait un prétendant en route. J’ai pris un air bête pour lui demander si elle attendait du monde : « Non, personne, a-t-elle repris ; mais M. Closeau du Tailli viendra, et quand il vient, il amène toujours quelqu’un. » Dès-lors je n’ai plus douté de la visite. Le quelqu’un, le voilà.

— Comment le trouvez-vous ? demanda Laure, qui était debout derrière Sophie.

— Pas mal, beaucoup mieux que M. de Courtalin. Il a même, continua Sophie, quelque chose qui plaît au premier abord, un je ne sais quoi que je n’ai vu à aucun des jeunes gens avec qui j’ai dansé cet hiver ; c’est peut-être ce qu’on appelle l’air artiste. On dit qu’il a du talent ?

— Beaucoup.

— Tant mieux !… Je lui demanderai de me dessiner un costume pour un bal déguisé… Savez-vous s’il valse bien ?

— Je ne sais pas. Il a un cœur excellent.

— Alors vous croyez que s’il devient mon mari, il me conduira partout où je voudrai, au bal, au concert, aux courses de Chantilly, à l’Opéra, aux eaux ?

— Il se dévouera tout entier à votre bonheur. Maurice a beaucoup souffert, il a beaucoup travaillé.

— Oh ! si je l’épouse, il n’aura plus rien à faire.