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Le fait est qu’il n’avait pas encore de résolution bien arrêtée. Il ne pouvait s’empêcher de reconnaître la force des objections si vivement présentées par Philippe ; mais les conseils positifs de M. Closeau du Tailli lui revenaient à l’esprit, et il hésitait également entre les deux avis. Si Philippe ne lui avait rien dit, Maurice se fût rendu directement à Marly, n’admettant pas qu’une visite l’engageât beaucoup, et tout disposé à rompre les pourparlers, si les conditions de ce mariage ne lui plaisaient pas. Son caractère, naturellement enclin aux temporisations, lui conseillait dès la veille ce dernier parti ; la véhémence de Phihppe avait fait seulement qu’au lieu d’agir d’après sa volonté propre, il s’en remettait au hasard du soin de diriger sa promenade.

Ce fut dans cette disposition d’esprit que Maurice arriva sur la route de Saint-Germain ; il s’assit sur l’herbe au pied d’un arbre et attendit. Le soleil était chaud, et il réfléchissait. Au plus fort de ses réflexions, il appuya sa tête contre une racine, ferma les yeux, et s’endormit profondément. Une voix qui l’appelait le réveilla tout à coup. Maurice regarda devant lui et aperçut M. Closeau du Tailli, qui s’efforçait d’ouvrir la portière d’une voiture dont un cocher en livrée retenait les chevaux fringans.

D’un bond Maurice fut sur ses pieds.

— Eh ! que faites-vous là ? s’écria le rentier.

— Je crois bien que je dormais, répondit Maurice.

— Et moi j’en suis sûr… Vous avez donc oublié la visite que vous devez faire à Marly ?

— Au contraire j’y pensais beaucoup ;… c’est même ce qui m’a porté au sommeil.

— Une épigramme ! murmura M. Closeau du Tailli. Quand vous serez à la Colombière, j’ai quelque idée que vous n’en voudrez plus sortir.

— C’est donc une succursale du jardin d’Armide ?

— Peut-être, et, pour vous en donner la preuve, je vous emmène… Montez-vous ?

Maurice regarda aux deux extrémités de la route ; aucune voiture n’en soulevait la poussière, ni du côté de Marly, ni du côté de Paris.

— Allons, dit-il, le sort le veut !

Et il sauta dans la calèche.

Comme la calèche traversait Bougival, elle se croisa avec la gondole qui arrivait de Saint-Germain. Maurice la suivit des yeux.

— Encore cinq minutes, dit-il, et je ne me mariais pas.

Un quart d’heure après, la porte d’une grille de fer qui s’ouvrait sur la route tournait sur ses gonds, et la voiture de M. Closeau du Tailli s’engageait dans une large avenue de marronniers au bout de laquelle s’élevaient les bâtimens de la Colombière.