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REVUE DES DEUX MONDES.

Maurice, deux jeunes gens étaient assis sous les tonnelles du petit restaurant. C’étaient Maurice de Treuil et Philippe Duverney.

Philippe, adossé contre un poteau, lançait en l’air la fumée de son cigare ; Maurice tambourinait du bout des doigts sur la table de sapin. Deux verres, du sucre, une carafe d’eau fraîche et un flacon d’eau-de-vie étaient entre eux.

— Mimi Soleil est dans l’île avec Jacques, dit Philippe ; ils ne viendront pas que le soleil ne soit couché ; nous sommes seuls, si tu as à me parler. Je t’écoute.

— On veut me marier, répondit Maurice en avalant une petite gorgée de grog.

— Te marier !… Et avec qui ?

— Devine.

— Un sage a dit : « Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu hais. » Dis-moi où tu vas, et je te dirai le nom de ta fiancée.

— Je vais à Marly, chez M. Sorbier.

Philippe regarda Maurice fixement.

— Laure est chez M. Sorbier. S’agit-il de Laure ?

— Non.

— Tant mieux, elle est trop pauvre.

— Laure n’est pas seule à Marly.

— Parbleu ! il y a encore la fille de la maison, Mlle Sophie. Est-ce que par hasard ?…

— Justement.

— Tant pis, elle est trop riche.

— Çà, mon cher Philippe, essayons d’être logique, s’il se peut. Laure est trop pauvre, Sophie est trop riche. Il faut pourtant bien qu’une femme soit l’un ou l’autre.

— Je n’en vois pas la nécessité ; mais il faut surtout qu’un artiste soit libre.

— Ah ! bien ! une tirade contre le mariage… Prends garde,… c’est vieux.

— Le vieux est souvent vrai ; mais là n’est pas la question. Le mariage est bon ou mauvais selon les circonstances qui l’entourent, et non parce qu’il est le mariage. Tu n’as pas besoin d’une femme, tu as besoin de travailler.

— Et c’est précisément pour travailler que je suis presque décidé à accepter les propositions de M. Closeau du Tailli.

— Ah ! c’est l’ami des arts qui a conçu cette belle idée ?

— Lui-même.

— As-tu vu Sophie ?

— Non… La présentation doit se faire ce soir.

— Elle est fort jolie, et même quelque chose de plus.

— Je n’y vois pas de mal.