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MAURICE DE TREUIL.

maine et on y dansait trois fois pendant le carnaval. Le 15 septembre, jour anniversaire de la naissance de Sophie, il y avait grand gala dans la maison. Ces habitudes régulières de luxe, tout à fait inusitées dans une petite ville et inspirées par Agathe, avaient achevé de réhabiliter M. Sorbier. Il avait excité la haine, il excita l’envie, et il devint l’homme le plus important de la localité.

Il fallait, avant de partir pour Paris, liquider les affaires de la maison et les procès dans lesquels elle était engagée. M. Sorbier s’en occupa, mais avec une sage lenteur, où se dissimulait peut-être un secret désir de prolonger son séjour à Étampes. Ne pouvait-on pas y appeler M. Closeau du Tailli et l’y retenir par une association qui rendrait leurs intérêts solidaires ? Ce projet émis un soir à table, à la fin du dîner et pendant que Sophie jouait, effraya Mme  Sorbier. Si elle avait enseveli sa jeunesse dans une petite ville, loin de ses amis, et consacré tous ses soins à l’édification d’une fortune immense, n’était-ce pas pour en jouir sur un plus grand théâtre ? Quelle chance d’ailleurs avait-elle de rencontrer Mme  Sabatier à Étampes ?

— Mais, dit Agathe, mon cousin voudra-t-il quitter Paris pour notre sous-préfecture ?

— Je l’ai sondé à cet effet, répondit M. Sorbier, et il n’est pas éloigné d’accepter. Votre cousin, vivant ici, sous notre toit, serait à nous ; je ferais venir de Paris une maîtresse de piano et une maîtresse d’anglais ; Sophie recevrait une belle éducation, et nous économiserions les frais de déplacement.

— Nous verrons, reprit Agathe, qui se réservait de combattre ce projet, auquel, quoi qu’il arrivât, elle était décidée à ne pas consentir. Un événement imprévu détourna toutefois le coup qui la menaçait, et lui permit de ne pas intervenir dans le débat. On procédait alors à Étampes aux élections pour le renouvellement du conseil municipal : M. Sorbier ne fut pas réélu. Agathe cria à l’ingratitude, et n’eut pas grand’peine à faire croire à son mari qu’il était la victime d’une odieuse machination, alors qu’elle-même n’était pas étrangère à cet échec. Quelques billets habilement renouvelés, des prêts consentis à des conditions moins onéreuses, deux ou trois dîners donnés à propos l’eussent prévenu ; mais Agathe conseilla une marche tout opposée, afin, dit-elle, de ne pas être à la merci d’intrigans qui exploitaient M. Sorbier. L’affaire manquée, l’élection devint un thème inépuisable aux récriminations de sa femme. Ne pas réélire M. Sorbier, le plus riche capitaliste d’Étampes, l’homme qui avait consacré ses veilles à la bonne administration des deniers publics, le citoyen généreux qui avait donné trois cents francs pour les réparations de l’école communale et cent écus pour la décoration de l’église, le banquier qui avait traité le préfet du Loiret en tournée de révision, et l’évêque d’Orléans en tournée pastorale ! On