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MAURICE DE TREUIL.

recherches dépendaient ses opérations. Les bénéfices qu’il en tira l’engagèrent à continuer sur une plus large échelle et à étendre le cercle de son commerce. Il noua des relations suivies avec les pays de production, et multiplia ses affaires à mesure que son crédit et ses ressources pécuniaires augmentaient. On cria bien un peu à l’accaparement, mais il n’était pas homme à s’effrayer de ces rumeurs, inspirées, disait-il, par l’envie, et continua bravement à vendre fort cher le blé et les farines qu’il avait achetés bon marché.

En arrivant dans la maison où elle était désormais appelée à vivre, Agathe se mit tout de suite au fait des habitudes commerciales de son mari, et, comme ces insectes qui montent au plus haut d’un arbre à l’aide de fils invisibles, elle arriva, par les indications les plus fugitives, à comprendre le mécanisme de ses nombreuses et délicates affaires. Isidore parlait peu ; à cette habitude se joignait une circonspection naturelle, qui lui rendait tout épanchement difficile. Il voyait avec une mémoire admirable l’ensemble et les détails de toutes ses opérations entremêlées de procès, et communiquait avec son clerc par monosyllabes. Entre eux, un chiffre était la résultante d’un long calcul, un mot le résumé d’un raisonnement. Dans les conversations qu’ils avaient chaque matin, on aurait pu croire qu’ils avaient supprimé la parole : à cet égard, le vieux Griffaut, qui cumulait toutes les fonctions dans la maison Isidore Sorbier d’Étampes, n’était pas moins silencieux que son maître ; mais Agathe avait le sens très droit, un jugement sûr, un esprit positif, qui la rendaient éminemment propre aux affaires. Si la vanité, qui était le défaut saillant de son caractère, avait pu l’égarer sur la cause première de son mariage avec M. Sorbier, l’illusion fut de courte durée, et, l’illusion disparue, elle s’appliqua, avec la patience d’un mineur qui creuse une sape, à pénétrer le caractère de son mari et à modeler sa conduite sur ce caractère. Rien ne la découragea dans cette étude, ni l’aridité extrême d’une vie où le plaisir n’entrait pour rien, ni la sécheresse d’un intérieur que les rayons de la jeunesse et de l’amour n’égayaient jamais. Soutenue par une ferme volonté de dominer enfin un homme dont son avenir dépendait et que rien jusqu’alors n’avait attendri ou maîtrisé, elle louvoya vers son but avec cette habileté souple et cette ténacité qui sont des conditions certaines de succès.

Ce que la femme faisait à l’égard de son mari, le mari le faisait à l’égard de sa femme. Ce que cet homme, tout brûlé par l’amour du gain, cherchait dans une compagne, c’était moins une amie qu’un associé. Il voulait savoir si celle qu’il s’était choisie était bien telle qu’il l’avait désirée, et propre à lui venir en aide par ces qualités d’ordre et d’économie que les filles des vieilles maisons bourgeoises apportaient jadis en dot à leurs maris. Dès le lendemain de leur