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MAURICE DE TREUIL.

de fois, alors qu’il était chez l’avoué d’Étampes, Isidore n’avait-il pas vu le gage passer, après épuisement complet de ressources, des mains du propriétaire aux mains du prêteur ! Isidore avait fait son profit de cette remarque, et un temps bien long ne se passa pas sans qu’il devînt maître de quelques hectares de bonne terre saisis à sa requête et vendus à son profit.

Propriétaire à son tour, il chercha un acquéreur, en ayant soin de le choisir parmi les métayers à qui leurs ressources ne permettaient pas de payer intégralement le prix d’acquisition. Il prenait terme pour le reste, renouvelait les billets à l’échéance en retenant de gros intérêts, et finissait, après avoir pressuré l’imprudent acheteur, par l’exproprier brusquement. Il fit le premier essai de son système sur cette auberge du Cheval-Blanc, dont il s’était défait au moment de la mort de son père. L’acquéreur, ayant voulu faire construire de nouvelles écuries et joindre un potager à l’auberge, emprunta une somme assez forte à son vendeur. À l’échéance, il ne fut pas en mesure de payer. Isidore accepta le renouvellement du titre, dont le chiffre total fut grossi de la somme des intérêts, bien que ces intérêts lui fussent payés immédiatement. Il avait prêté pour un an ; il ne prêta plus que pour six mois. Quatre ou cinq renouvellemens de cette nature, plus durs à chaque échéance, firent rentrer Isidore en possession de l’auberge du Cheval-Blanc avec un bénéfice net de vingt mille francs.

À cette époque-là, et à la suite d’une saisie où son avidité parut dans toute sa rigueur, les fermiers et les trafiquans du pays donnèrent à M. Sorbier le sobriquet de Sorbier-le-Loup : où sa griffe avait passé, rien ne restait ; mais on comprend qu’une industrie aussi violente ne pouvait pas s’exercer sans de nombreux procès. Le capitaliste d’Étampes en avait beaucoup, et de fort compliqués. Fermiers, rouliers, métayers et meuniers se défendaient comme de beaux diables, et les procès dans lesquels son nom était mêlé défrayaient à eux seuls le tribunal de la sous-préfecture ; ils rebondissaient ensuite à la cour d’appel, qui était tout étonnée de la quantité d’affaires que lui fournissait l’arrondissement d’Étampes. Ces procès, Isidore Sorbier les gagnait presque tous, mais il en perdait cependant quelques-uns, bien qu’il eût un art prodigieux pour mettre en toute affaire le droit, ou, pour mieux dire, l’apparence du droit légal de son côté. Il était servi en cela par le laborieux et long stage qu’il avait fait dans l’étude poudreuse de maître Bernard, avoué.

La perte d’un procès auquel il attachait une certaine importance lui donna pour la première fois la pensée de se créer des appuis dans la cour, et l’idée d’un mariage avec Mlle  Agathe du Portail naquit dans son esprit. Il prit des informations sur la situation financière