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MAURICE DE TREUIL.

— Ah ! reprit Maurice, que ne donnerais-je pas pour avoir cette raison droite et ce cœur ferme !

Laure disait-elle bien toute la vérité ? Son visage avait la blancheur du marbre, ses lèvres tremblaient, ses yeux brillaient comme si un voile de larmes en eût tapissé la prunelle élargie par un violent effort, et sa voix avait un timbre grave qui ne lui était pas habituel.

Quand Maurice la quitta, elle resta quelques instans immobile, écoutant le bruit de ses pas qui se perdait dans la cage de l’escalier. Lorsqu’elle n’entendit plus rien, elle cacha sa tête entre ses mains, et, pressant contre ses lèvres la bague qu’il lui avait donnée, elle éclata en longs sanglots : — Ah ! dit-elle, il ne m’aime pas !


II.


Le lendemain de cette scène, dès le matin, un homme carillonnait à la porte de Maurice. Il était un peu gros, un peu court, un peu rouge de peau, avec des favoris en collier autour du visage ; il portait une cravate de satin noir à longs bouts, dont les plis étaient ornés d’une magnifique épingle, un habit bleu boutonné qui laissait voir l’extrémité d’un gilet de piqué jaune, un pantalon gris à sous-pieds, et des bottes un peu épaisses, mais bien luisantes. Il tenait à la main droite un superbe jonc à pomme d’or qui lui servait à frapper contre la porte à coups redoublés, tandis que de la gauche il tirait le cordon de la sonnette.

Maurice accourut et ouvrit. — Pardieu ! dit-il, à ce beau tapage je vous avais reconnu… Le feu est-il donc au logis, mon cher monsieur Closeau du Tailli ?

— Le feu n’est nulle part, si ce n’est là, dit M. Closeau du Tailli en touchant son front du bout du doigt.

— Ah ! mon Dieu ! vous m’effrayez. Et d’où provient cet incendie ?

— Vous plaisantez, mon cher Maurice, et cependant mon cerveau bout. Le moment est venu, je crois, de parler de choses sérieuses.

— Prenez garde ! Si vous débutez avec cette majesté, vous allez me rappeler M. Beauvallet de la Comédie-Française… Vous savez, dans Mithridate :

 
… Enfin l’heure est venue
Qu’il faut que mon secret éclate à votre vue :
À mes nobles projets je vois tout conspirer ;
Il ne me reste plus qu’à vous les déclarer…

— Ah ! vous riez ; eh bien ! ces vers, que je ne me rappelais pas, vous disent le reste de ma pensée.

— Il s’agit donc de quelque grand projet ?