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MAURICE DE TREUIL.

pas mis en tête de me conduire chez des amis qu’il a à la campagne du côté de Marly ?

— Chez M. Sorbier ?

— Précisément. Qu’est-ce que c’est que ce M. Sorbier ? Il y a une Mme Sorbier sans doute ?

— Mais oui.

— Et que font-ils ensemble, ces deux Sorbier ? sont-ils banquiers, négocians, sous-préfets en retraite, horticulteurs, amis des arts ?

— Rien de tout cela. Ils arrivent d’Étampes et vivent de leurs rentes.

— Bien, vous voulez dire qu’ils s’ennuient de leurs rentes. M. Closeau du Tailli m’en a fait un éloge qui m’a épouvanté. Je me méfie de gens qu’il aime tant. Faut-il qu’ils soient engourdis dans leurs millions… car ils ont des millions ?

— Plusieurs, deux ou trois.

— Eh ! mon Dieu ! où les ont-ils pris ?

— Ils les ont gagnés…

— Pris ou gagnés, c’est tout un.

— M. Sorbier faisait autrefois le commerce des farines.

— Meunier ! bon ! il ne lui manquait plus que cela ! Je vois d’ici le ménage Sorbier. Le mari a une casquette de coutil gris, il cultive un plant d’œillets et s’amuse le dimanche à voir passer les omnibus sur la route. Il vend les pommes de son jardin et les légumes de son potager au marché de Saint-Germain. Sa redingote de drap d’Elbeuf est indestructible. La mère porte un bonnet à fleurs jaunes. Elle a trop d’embonpoint. Elle égaie ses loisirs par le culte des confitures. Il y a surtout une certaine pâte de coing qu’elle fait à merveille ; elle l’inflige à tous ses amis. Sa campagne est ornée de quelques parens. Lorsqu’on est en famille et très gai, on parle d’un bal donné par le sous-préfet d’Étampes en 1837.

— Point du tout. Il n’y a point de bonnet à fleurs ni de pâte de coing ; mais il y a Mlle Sorbier.

— Ah ! ah ! à eux deux, ils ont donc une fille !

— Très jolie, avec des cheveux magnifiques et une taille de nymphe… Sophie a les mains comme Cendrillon avait les pieds, et une voix d’un timbre charmant. On dirait des gouttes d’eau tombant dans un bassin d’or.

— Diable ! si séduisante que cela ?

— Oui… Vous verrez.

— Oh ! je n’y suis pas encore, bien que mon affreux ami Closeau du Tailli s’acharne après moi pour m’y faire aller. Ce matin encore il m’a décoché une invitation pour dimanche prochain, et comme j’hésitais : — Vous avez tort ! Eh ! eh ! on ne sait pas !… a-t-il ajouté en riant d’un petit air fin.