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MAURICE DE TREUIL.

peur de la pauvreté, j’ai peur de la gêne, j’ai peur de la lutte, parce qu’elle entraîne après elle des souffrances dont je suis las ! Je suis fier, — chose étrange ! — du talent que je ne montre pas, et je rougis presque de celui qui m’a valu tant d’applaudissemens. Et voyez jusqu’où va cette bizarrerie : les louanges qu’on m’adresse, bien loin de me réjouir, m’irritent et me froissent. Je me sens supérieur à cette réputation naissante qui me les attire, et j’éprouve d’amers découragemens en pensant que jamais peut-être je n’irai au-delà de cette limite que mes premiers efforts ont touchée.

— Oui,… je vous comprends et je vous plains ! murmura Laure tout bas.

— Ah ! si j’étais riche ! non pas riche même, bien que ma nature ait un secret appétit de luxe, mais seulement si j’avais le loisir de travailler à mon heure et au gré de mon inspiration, si j’avais cette aisance qui permet de choisir et de creuser, peut-être arriverais-je à quelque chose !… Mais non, il faut travailler vite, parce qu’il faut produire beaucoup.

Maurice fit quelques pas sur la terrasse au hasard, et passa la main dans ses cheveux comme pour chasser une pensée fatigante. Jj’air frais de la nuit caressait son front brûlant, et calmait doucement la fièvre qui l’agitait.

— Mais vous, dit-il en se rapprochant de Laure après un long silence, vous ne me dites rien, et cependant, vous aussi, vous avez vos tristesses et vos ennuis.

— Oh ! moi, je donne des leçons, j’en donne même beaucoup. Ce que je gagne nous permet de vivre honnêtement, ma tante et moi, dans ce réduit, et si cette chère tante, dont mon travail adoucit les derniers jours, n’était pas un peu malade, je serais heureuse.

Et Laure détourna la tête pour ne pas laisser voir les larmes qui roulaient sur ses joues.

— Tant mieux, répondit Maurice, c’est bien le moins qu’un peu de bonheur visite cette retraite habitée par tant de courage et de résignation !

Il se rapprocha de Laure, et lui prenant la main :

— Vous avez noué ce ruban à ma boutonnière, reprit-il, vos doigts ont ennobli cette récompense qu’un jour peut-être je mériterai. Laissez-moi attacher un autre souvenir à ce moment. Plus tard, si la vie nous sépare, il vous rappellera un ami qui, quoi qu’il arrive et en toutes circonstances, vous gardera une profonde et sincère affection.

Laure laissa sa main aux mains de Maurice, qui, tirant une bague de son doigt, la passa à celui de la jeune fille.

— Prenez-la et gardez-la ; ce bijou me vient de ma mère, lui dit-il, je ne sais personne de plus digne que vous de la porter. Puisse-t-elle vous donner tout le bonheur que vous méritez !