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REVUE DES DEUX MONDES.

— Vous êtes injuste, reprit-elle avec force, doublement injuste. Prenez garde ; un si grand excès de modestie cache peut-être beaucoup d’orgueil.

— Il se peut, reprit Maurice. Depuis le commencement de cette journée qui jettera mon nom aux quatre vents de la publicité, je sens en moi je ne sais quels bouillonnemens où la colère, mille regrets et d’incroyables désirs ont autant de part que l’espérance !… Vous avez bien fait de m’écrire, nous causerons, et votre présence achèvera de calmer cette espèce de fièvre.

Laure et Maurice passèrent sur le balcon. De la hauteur extrême où où il était situé, — la rue de Douai étant elle-même très élevée, — ce balcon dominait Paris presque tout entier. La nuit était claire. Cet océan de toits et de cheminées qui du nouveau quartier bâti sur les jardins de l’ancien Tivoli s’étend jusqu’au Luxembourg, était comme noyé dans une brume transparente d’où saillaient, à des distances diverses, les tours et les dômes indécis de Notre-Dame, de Saint-Sulpice, du Panthéon, pareils à des vaisseaux à demi naufragés. Rien, si ce n’est l’océan, ne donne plus que Paris, vu la nuit et de haut, la pensée de l’infini ; le regard se perd dans un horizon sans limites ; des myriades d’étincelles piquent l’obscurité, semblables à cette poussière d’or que le phosphore allume parmi les flots. Le roulement lointain des voitures courant sur le pavé rappelle le mugissement sourd de la mer sur le rivage, et remplit l’espace de murmures. Les contours s’effacent, et cette trompeuse clarté dont la nuit s’enveloppe, mêlée à ces bruits confus, prête à la grande ville des proportions immenses et des grâces magiques dont la pensée rêveuse interroge la mystérieuse profondeur.

Laure et Maurice, tout entiers à la magnificence de ce spectacle, restèrent quelques instans silencieux. Ils étaient accoudés sur la rampe du balcon et regardaient devant eux. Du milieu de quelques grands marronniers groupés dans un jardin, à quelques pas de la rue de Douai, s’échappaient les mélodies éclatantes d’un rossignol ; un vent léger passait, comme un soupir de l’été, dans le feuillage frémissant ; jamais plus belle nuit n’endormit Florence ou Venise.

Un flot de sang jeune monta au cœur de Laure, qui respirait avec délices cet air enivrant. Elle entr’ouvrit les lèvres sous l’effort d’un soupir à demi étouffé, et la première, se tournant du côté de Maurice :

— Voilà que la carrière vous est ouverte, dit-elle, vous n’avez plus qu’à marcher.

— Et où irai-je ? demanda Maurice.

— Où vont le talent et la jeunesse, l’espérance et le travail.

— Vous croyez donc à tout cela ?… J’en ai vu beaucoup qui tra-