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MAURICE



I.


Il est onze heures du soir. Un silence profond enveloppe les rues qui avoisinent la place Vintimille. On n’entend pas d’autre bruit que le roulement périodique de l’omnibus qui monte et qui descend la rue de Clichy, et dont les roues pesantes cahotent sur le pavé. Quelques portes retombent çà et là sur leurs gonds, et tout se tait. Le quartier dort comme une ville de province.

En ce moment, un jeune homme s’arrêta devant la porte d’une maison qui occupait l’angle de la rue de Douai, frappa vivement, entra, et, prenant des mains du concierge un bougeoir tout allumé, monta lestement les cinq étages qui le séparaient de son appartement.

Le concierge le suivit quelque temps des yeux.

— Il ne fredonne pas, murmura-t-il, il ne dit rien !… mauvaise nouvelle… Pauvre garçon !… Après ça, il est si fier !

Ce court monologue n’était pas fini que déjà le jeune homme atteignait le cinquième étage et entrait chez lui. Il jeta son paletot sur un meuble, alluma deux bougies, en prit une, l’éleva au-dessus de sa tête, et, se tenant debout devant un tableau que portait un grand chevalet, le regarda longtemps avec une scrupuleuse attention.

— Ce n’est pas mal, dit-il enfin et comme s’il se fût parlé à lui-même, mais ce n’est pas encore cela !

Il fit deux pas en arrière, et, projetant la lumière tour à tour sur toutes les parties du tableau, il en examina l’ensemble et les détails avec le soin minutieux d’un expert qui veut se rendre compte des qualités et des défauts de l’ouvrage soumis à son examen.