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les collègues de sir Robert dans le gouvernement, soit les hommes distingués avec lesquels il avait eu des relations. Hors de la maison, entre le propriétaire et la population environnante, une grande distance, marquée dans les manières, mais comblée par des rapports fréquens, pleins d’équité et de bienveillance de la part du supérieur, sans apparence d’envie ni de servilité chez les inférieurs. J’ai vu là un des plus heureux exemples de la hiérarchie légitime des situations et des personnes, sans souvenirs ni prétentions aristocratiques, et au milieu d’un sentiment général et mutuel de droit et de respect.

Comme lord Aberdeen, et en tenant compte des convenances politiques qu’il avait à ménager, sir Robert Peel s’était empressé de témoigner au roi Louis-Philippe et à la famille royale, établis à Claremont, sa sympathie respectueuse. À mesure que les événemens s’éloignèrent, il se sentit à cet égard plus de liberté, et trouva bientôt l’occasion d’en user. À la fin de l’été de 1849, la reine Marie-Amélie fut malade ; on doutait que le séjour de Claremont convînt à sa santé. Sir Robert Peel écrivit au roi pour mettre Drayton-Manor à sa disposition, s’estimant heureux si la reine pouvait s’y plaire. Vivement touché de cette offre, sans l’accepter, le roi manifesta l’intention d’aller lui-même à Drayton en porter à sir Robert ses remerciemens. Le 18 décembre 1849, il accomplit son dessein ; sir Robert Peel et lord Aberdeen vinrent le prendre à la station de Londres ; le duc d’Aumale l’accompagnait. Ils trouvèrent réunis à Drayton la famille de sir Robert et quelques amis d’élite, entre autres lord et lady Mahon, maintenant comte et comtesse de Stanhope. Le roi visita le château, la galerie de tableaux. On se mit à table pour le luncheon ou collation. Au moment d’en sortir, sir Robert Peel, en remerciant le roi de l’honneur qu’il venait de lui faire, lui dit : « Sire, nous vous avons dû la paix du monde ; chef d’une nation justement susceptible, justement fière de sa gloire militaire, vous avez su atteindre ce grand but de la paix sans jamais sacrifier aucun intérêt de la France, sans jamais laisser porter aucune atteinte à son honneur, dont vous étiez plus jaloux que personne. C’est surtout aux hommes qui ont siégé dans les conseils de la couronne britannique qu’il appartient de le proclamer. » Le roi, visiblement ému, répondit en anglais à son hôte, le remerciant de rendre ainsi en même temps justice et à son patriotisme et à ses efforts pour maintenir la paix du monde : « tâche facile, dit-il, lorsqu’à la tête de ce pays se trouvaient des hommes tels que vous, monsieur, et mon noble ami assis à côté de moi. » C’était lord Aberdeen.

Je ne m’excuse point d’insister sur ces témoignages d’adhésion et de respect que recevait ainsi, au foyer domestique d’un grand mi-