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« Partout où l’intolérance théologique est admise, dit-il gravement, il est impossible qu’elle n’ait pas quelque effet civil. » Soit, mais partout où l’intolérance civile est admise, il est impossible aussi qu’elle n’ait pas quelque effet religieux. Vous craignez le théologien qui fait de la loi de l’église la loi de l’état, et vous ne voulez pas que je craigne le législateur qui de la loi de l’état fait la loi de l’église !

Comment Rousseau a-t-il pu se faire illusion sur cette singulière contradiction ? Le sophisme qui l’a trompé est curieux. Sa religion civile n’a point de dogmes, elle a un catéchisme, mais dans ce catéchisme il n’y a point d’articles de foi. Rousseau le croit du moins, et il s’en applaudit. Voyons comment il crée cette religion sans dogmes qui lui paraît le chef-d’œuvre de son législateur. « Comme le souverain, dit-il, n’a point de compétence dans l’autre monde, quel que soit le sort des sujets dans la vie à venir, ce n’est pas son affaire, pourvu qu’ils soient bons citoyens dans celle-ci. Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentimens de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen, sage et fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l’état quiconque ne les croit pas… Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, exécutés avec précision, sans explication ni commentaires. L’existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchans, la sainteté du contrat social et des lois, voilà des dogmes positifs. » Est-ce donc là ce que Rousseau appelle une religion sans mystères et sans théologie ? Il est bien bon en vérité, car je ne connais pas de religion qui soit plus théologique que la sienne. Toutes les religions sont nécessairement théologiques, parce qu’elles roulent toutes sur le rapport de Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu, c’est-à-dire sur la nature de la Divinité, sur son action, sur l’immortalité de l’âme et la vie à venir. Quels plus grands et plus profonds mystères que ceux-là ? Rousseau, dans les Lettres de la Montagne, veut que le législateur « omette dans la religion civile tous les dogmes qui peuvent importer à la foi, mais nullement au bien terrestre, unique objet de la législation. » Mais comment pouvons-nous croire à l’existence de Dieu et à l’immortalité de l’âme, sinon par la foi ? Et quand même on prétendrait que la raison suffit pour démontrer l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, il n’en faut pas moins que cette persuasion de l’esprit devienne une croyance de l’âme, pour qu’elle produise des effets dans la pratique de la vie : l’homme agit par la foi plus que par la conviction. « Comment le mystère de la Trinité, dit Rousseau, peut-il