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à son image, c’est-à-dire surtout d’en faire une personne. Dieu et moi ! deux âmes, deux pensées, deux personnes, l’une toute-puissante, immense, infinie, mais à qui son immensité n’ôte pas cette conscience précise de son être qui constitue la personnalité ; l’autre faible et petite, mais qui malgré sa petitesse ne se perd pas dans le nombre infini des existences, atome qui vit et qui se connaît, et qui par là garde aussi sa personnalité. Comment de ces deux personnalités l’une peut-elle se soutenir en face de l’autre ? comment puis-je être devant Dieu et ne pas disparaître dans sa splendeur ? Grand mystère ; mais je ne puis pas douter que le moi de l’homme peut paraître devant le moi de Dieu, puisque Dieu m’a permis de l’appeler mon père et d’affirmer dans la même prière sa personne et la mienne.

La personnalité divine et la personnalité humaine constituent le monde moral tout entier. Le monde matériel a besoin de la multiplicité des êtres qui le composent, des minéraux, des végétaux, des animaux, des planètes elles-mêmes. Il n’est complet que dans son immensité ; il n’existe qu’à l’aide de ce qu’il y a d’universel dans son organisation. Le monde moral n’a besoin pour exister que de deux personnes. Dieu et l’homme, et ces deux âmes, dont l’une a été créée à la ressemblance inégale de l’autre, composent un univers. Peu importe qu’il y ait sur cette terre un plus ou moins grand nombre d’hommes. Comme le rapport est individuel entre Dieu et chaque homme, comme c’est dans ce rapport qu’est la sanction de toute loi et la cause de tout droit et de tout devoir ici-bas, le monde moral a existé dès qu’il y a eu un homme devant Dieu ; il a été complet dès ce moment. Les générations infinies des hommes n’y ont rien ajouté : elles ont multiplié les éditions sans changer l’ouvrage.

La religion comme la philosophie attestent l’étroite et mystérieuse union qui existe entre la personnalité divine et la personnalité humaine, si bien que l’une ne peut pas périr sans l’autre. L’histoire de l’esprit humain témoigne également de cette vérité. Partout où périt l’idée d’un Dieu qui est une personne, partout où Dieu n’est plus que le monde se créant et s’entretenant lui-même, l’homme perd son indépendance individuelle et finit aussi par n’être plus que la partie d’un grand tout, de même que partout où l’homme cesse d’être un individu et se perd dans l’état. Dieu perd aussi sa personnalité de créateur et de conservateur. Quand l’homme n’est plus qu’une chose publique, Dieu n’est plus lui-même que la substance universelle. Le panthéisme crée l’état absolu, et l’état absolu crée le panthéisme. Les deux doctrines s’appellent l’une l’autre, parce qu’elles excluent toutes deux la cause et le principe de la liberté, c’est-à-dire la personnalité. Quiconque croit que l’individu ne vit que dans l’état est