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que l’individu s’anéantisse dans l’état ; mais ils ne demandent pas cet anéantissement à la volonté même de l’individu, ils le demandent à la terreur. « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, dit Robespierre dans son rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la convention nationale dans l’administration intérieure de la république[1], le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante[2]. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible : elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier qu’une conséquence du principe général de la démocratie appliqué aux plus pressans besoins de la patrie. » Ces derniers mots font frémir, mais ils procèdent directement du Contrat social de Rousseau.

Dans la démocratie en effet, l’état, qui représente la souveraineté du peuple, est par cela même tout-puissant ; tout individu qui « s’oppose à la volonté générale doit y être contraint par tout le corps, ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le force d’être libre. » Vous l’entendez : liberté, égalité, fraternité ou la mort ! L’état étant l’unité la plus absolue de tous ses membres, de quel droit un citoyen voudrait-il avoir d’autres opinions que l’état ? Cela romprait l’unité. Aussi Robespierre érige-t-il en principe qu’il « n’y a de citoyens dans la république que les républicains, « de même qu’un fondateur d’ordre ne souffre non plus dans sa congrégation que des moines de sa règle. Partout, en relisant ce rapport de Robespierre, on est frappé de la singulière ressemblance qui existe entre le législateur tel que le veut Rousseau, tel que Robespierre prétend l’être, et les fondateurs des grands ordres religieux du moyen âge. Il n’y a qu’une grande et capitale différence : la liberté veille aux portes des couvons et ne laisse entrer que ceux qui veulent être moines ; la terreur veille aux portes de l’état révolutionnaire et force tout le monde d’y entrer.

L’anéantissement de l’individu au profit de l’état, voilà le principe fatal qui fait du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau le code prédestiné de tous les despotismes. Ici il m’est impossible de ne pas remarquer la contradiction qu’il y a entre l’Émile et le Contrat social, l’Émile, dans lequel Rousseau refait l’homme, et le Contrat social, dans lequel il refait l’état.

  1. 5 février 1794. — Histoire parlementaire de la Révolution, t. XXXI, p. 276.
  2. C’est la définition de l’inquisition.