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SIR ROBERT PEEL.

rale, un tremblement de terre français d’abord, puis européen, mais dans lequel les relations extérieures des états et de leurs gouvernemens ne sont entrées pour rien. Quoi qu’il en soit, retiré en Angleterre, j’aurais pu oublier, si je l’avais voulu, que naguère j’avais été acteur dans un grand dissentiment politique entre ma patrie et le pays qui me donnait asile. J’ai vécu deux fois en Angleterre, la première fois comme ambassadeur d’un puissant monarque, la seconde comme proscrit par une terrible révolution ; j’ai reçu aux deux époques le même accueil, plus empressé seulement et plus amical dans l’adversité que dans la haute fortune. Noble pays, plein d’esprits droits et de cœurs généreux qui savent honorer, même quand ils combattent, et que la générosité ramène toujours à la justice ! Je retrouvai dans sir Robert Peel, soit sur la politique générale, soit envers moi, les mêmes sentimens, mêlés pourtant de quelque réserve sur des questions que l’un et l’autre nous étions peu enclins à aborder. Il était surtout, et avec raison, préoccupé de l’Angleterre à propos de la France, et du désir que les deux pays restassent non-seulement en paix, mais en bons rapports. Nos impressions d’ailleurs sur la révolution de février, quoique très voisines, ne se rencontraient pas pleinement : il en était plus frappé qu’offensé, et en voyait plutôt les causes prochaines et apparentes que les lointaines et profondes. Ma disposition ne pouvait être et n’était pas en effet la même, mais c’étaient là entre nous des diversités plutôt que des dissidences, et elles n’altéraient point la conformité générale de nos sentimens. Dans l’automne de 1848, il m’engagea à aller passer quelques jours dans son manoir de Drayton, et je garde de cette visite, où se trouvaient aussi deux de mes amis, M. Dumon et le duc de Montebello, le plus agréable souvenir. Je vis là sir Robert Peel au sein de sa famille et au milieu de la population de ses terres : lady Peel, encore belle, passionnément et modestement dévouée à son mari ; une fille charmante, mariée depuis à un fils de lord Camoys ; trois des fils de sir Robert, l’un capitaine de vaisseau, déjà renommé par le plus brillant courage, l’autre qui venait de débuter avec succès dans la chambre des communes, le troisième encore livré à ses études ; sur les domaines, de nombreux et heureux fermiers, parmi lesquels un des frères de sir Robert, qui avait préféré la vie agricole à toute autre carrière ; de grands travaux d’amélioration rurale, surtout de drainage, que sir Robert suivait de près et nous démontrait avec une connaissance précise des détails. Belle existence domestique, grande et simple, active avec largeur : dans l’intérieur de la maison, une gravité affectueuse, moins animée, moins expansive, moins douce que ne le désirent et ne le comportent nos mœurs ; les souvenirs politiques consacrés par une galerie de portraits, la plupart contemporains, soit