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avait accablé d’un mépris si superbe et même si accusateur les prétentions et les idées des unitairiens, que c’eût été trop longtemps une inconvenance que de parler d’eux. On essayait d’ignorer leur existence, on ne voulait savoir le titre d’aucun de leurs livres, et l’on aurait été plus embarrassé dans le monde d’en laisser traîner un sur sa table que les productions de quelque successeur de Martial ou de Pétrone. Sous la pression de ce dédain, à la faveur de ce silence, l’unitairianisme s’est toutefois maintenu, il s’est même propagé; il a des communautés et des pasteurs. En 1855, il comptait dans les trois royaumes au moins trois cents congrégations dirigées par plus de deux cent cinquante ministres. Sans attribuer une même importance à toutes ces églises et aux institutions ou associations qui en dépendent, il est impossible de ne pas voir là un phénomène religieux qu’on ne saurait passer sous silence, et depuis que la voix de Channing s’est fait entendre de l’autre côté de l’Atlantique, le dédain serait ridicule pour une doctrine qui inspire de tels défenseurs. Un prédicateur comme Channing et un écrivain comme Emerson recommandent tout ce que leur esprit a touché.

L’unitairianisme n’est qu’un symptôme, une manifestation d’un état intérieur des esprits et d’un travail intellectuel qui se fait avec plus ou moins d’intensité dans le sein de la plupart des communions protestantes. Quand on lit certains écrivains qu’elles tiennent pour suffisamment orthodoxes, on est frappé d’une diversité de nuances et d’une multitude de confessions qui sont loin d’annoncer la torpeur de l’esprit d’examen et de l’amour de la vérité. Parmi les auteurs qui tiennent encore à l’église et au premier rang de ceux qui ont illustré leur cause, choisissons-en deux par exemple, Coleridge et Arnold. Ce sont là des noms que tout le monde connaît en Angleterre. Que rappellent-ils à un lecteur français? Peu de chose, il nous semble. Nous essaierons de mettre en lumière leurs titres à la célébrité. En regard de ces écrivains que l’église légale ne saurait repousser, nous placerons plusieurs de ceux qui s’écartent le plus d’elle sans aborder ou professer tous le rationalisme absolu. Ceux-ci se divisent en épiscopaux ou en dissidens, qui sont unitairiens de fait sans en prendre le nom, en chrétiens sincères qui ne craignent pas de le porter, en libres penseurs enfin qui se l’attribuent pour ne point paraître sans église, mais qui au fond ne conservent rien du christianisme. Dans le nombre, il s’offrira plus d’un portrait à tracer, plus d’un ouvrage remarquable à faire connaître, et quoique cette triple école n’ait peut-être pas été aussi féconde en Angleterre qu’en Amérique, on verra que les Clarke et les Lardner, les Price et les Priestley ne sont pas restés sans successeurs.


CHARLES DE REMUSAT.