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mais on aurait tort de voir, dans les erreurs qu’elle sert à couvrir, le fond de toutes les croyances qui s’écartent du credo des églises établies. Quoique l’examen privé, qui mène du jésuitisme au jansénisme, puisse parfois pousser du luthérianisme à l’arianisme, et de là quelquefois à cette incrédulité raisonnée qui ne conserve rien du dogme révélé, on ne saurait assimiler aux maîtres ou aux élèves de Voltaire des hommes scrupuleux qui confessent ce qu’ils croient, sans craindre de se séparer de telle ou telle église, s’ils n’entendent pas se séparer de l’Évangile. Il ne faut pas confondre les unitairiens, tous les unitairiens du moins, avec ces esprits forts qui voulaient se faire passer aussi pour une secte de dissidens. Clarke, Lardner, Hallet, ont, comme Milton, Locke et Newton, défendu le christianisme contre les incrédules de leur temps. Pour décrire ce qu’au siècle dernier pensait l’Angleterre en matière de religion, il faut donc bien distinguer trois choses : — les croyances positives et plus ou moins arrêtées qui caractérisent soit l’église établie, soit les principales sectes reconnues ; ce sont comme autant d’orthodoxies différentes, s’il est permis d’accoupler ces deux mots ; — la philosophie chrétienne, qui partout, même dans l’église, engendre des doctrines individuelles et pour ainsi dire des hérésies légitimes, qu’on ne montre pas toujours, mais qu’on laisse entrevoir ; — enfin la philosophie pure, isolée de toute révélation, tantôt hostile au christianisme comme celle de Hume, tantôt, comme celle de Reid, respectueuse pour la foi et sincèrement décidée à ne s’en écarter jamais.

Ce n’est point la philosophie proprement dite, religieuse ou non, qui nous occupe en ce moment. Aussi bien ne joue-t-elle pas un rôle apparent fort actif dans les opinions de nos voisins, et je ne sais si aujourd’hui le vénérable nom de William Hamilton est beaucoup plus connu en Angleterre qu’il ne l’est en France. Il semble qu’en toutes choses, comme en politique, les questions abstraites aient besoin pour occuper les Anglais de cesser d’être abstraites, et qu’elles ne fixent leur attention qu’enveloppées de ces formes réelles et sociales que les idées prennent dans la croyance des nations. Ce n’est pas au reste mal étudier la théorie que de la considérer engagée ainsi dans la réalité. Bornons-nous donc à ne considérer en Angleterre que les systèmes qui sont ou peuvent devenir des croyances communes, et ne craignons pas de traiter de chrétiens tous ceux qui sincèrement le veulent être.