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arienne. D’ailleurs l’ami, le disciple, le confident de Newton, le dépositaire et l’interprète de ses idées philosophiques n’est-il pas l’illustre Clarke, que Rousseau représente si magnifiquement éclairant le monde, annonçant l’être des êtres et le dispensateur des choses? Et cet illustre Clarke, dans sa doctrine de la Trinité selon l’Écriture, subordonna la nature du fils à celle du père, et fut en 1714 traduit pour tendance arienne devant l’assemblée des évêques. Il s’en tira par une déclaration où il confessa l’éternelle génération du fils, et se fit accuser de faiblesse par Whiston, sans convaincre son adversaire orthodoxe, le docteur Waterland. Après de pareils exemples, on conçoit que le soupçon ait pu remonter jusqu’à ces premiers dignitaires du clergé, jusqu’à ces latitudinaires que la haute église désavoue encore de nos jours, jusqu’à l’archevêque de Cantorbéry, Tillotson, jusqu’à l’évêque de Bangor, Hoadly. Enfin tous ceux qui s’intéressent à l’apologétique chrétienne savent le nom du docteur Lardner. C’était un dissident pieux et savant dont l’autorité est invoquée même dans notre église. Cependant il écrivit en 1730 à lord Barrington une lettre, publiée vingt-neuf ans plus tard, où il prétend, tout en se séparant d’Arius et de Socin, que Jésus est un homme choisi, sacré, aimé de Dieu, et élevé par lui au-dessus de tous les êtres. C’est lui qui donna à cette doctrine le nom de doctrine nazaréenne, nom sous lequel les unitairiens sont encore désignés quelquefois.

En France, où nous aimons à pousser à bout toutes choses, où, sous prétexte de suivre la logique, nous la forçons assez souvent, on dira peut-être que toutes ces opinions ne sont que des variétés de la philosophie incrédule. On se trompera, je pense, et ces croyances tout individuelles, enfantées par la libre réflexion, appartiennent à la religion, comme les divers systèmes philosophiques appartiennent à la philosophie. On aurait tort de confondre ces théories diversement chrétiennes avec les produits du rationalisme exclusif, de la critique anti-religieuse, enfin du mouvement d’incrédulité qui traversa tout ce siècle. L’hérésie, c’est-à-dire le choix dans la foi, n’est pas la négation de la foi. Le déisme, j’en conviens, par timidité ou par adresse, chercha souvent à ménager les esprits en affectant pour la révélation les apparences d’un respect de commande. De tristes opinions qui vont au-delà du déisme ont osé moins encore se montrer sans voile. Collins, Toland, Tindal, ont pu se couvrir de ces dehors, qui n’abusaient personne. C’était comme un reste des ruses que l’on passe à la presse politique. Bolingbroke lui-même n’avait pas l’audace de confesser qu’il attaquât dans ses écrits la foi de cette église dont il s’était fait dans le gouvernement l’instrument passionné. La tyrannie des lois et des mœurs peut expliquer cette dissimulation qui dépassa souvent la réserve permise à la prudence ;